montrer ta puissance. Est-il possible qu'une telle ingratitude existe parmi les hommes ? Et est- il possible que j’aie fait un si mauvais choix ? Non, Théodat, je ne suis pas comme toi, je ne veux pas te condamner sans t’entendre. Il doit sûrement y avoir une raison pour que tu me haïsses de la sorte. Qu'ai-je fait contre toi quand tu étais mon sujet ? Qu'ai-je fait contre toi depuis que je t’ai fait roi ? Je me souviens bien qu'à l'époque où tu étais sous mon obéissance et que j'avais le droit de te punir ou de te récompenser, un grand nombre de Toscans sont venus se plaindre à moi des violences que ta cupidité les avait poussés à commettre. Je me souviens bien que, mécontente de voir cette cupidité en toi, une passion indigne du neveu de Théodoric, j'ai tout fait pour te faire comprendre que ce sentiment était méprisable et injuste. Il est vrai que je t’ai obligé à rendre ce qui ne t’appartenait pas, mais il est aussi vrai que je n'ai rien fait d'autre que ce que la raison et l'équité exigeaient que je fasse. Je sais que je t’ai dit à l'époque que l'avarice était le signe infaillible d'une âme basse, que les avares étaient presque tous des lâches, que ceux qui s'attachaient passionnément à amasser des trésors se souciaient peu d'acquérir de la gloire, et enfin que l'avarice était presque toujours l’adjointe de l'ingratitude. Voilà, Théodat, ce que j'ai fait à ton égard : j'ai essayé de corriger un mauvais instinct avec lequel tu es né. Mais sais-tu qu’elle était alors mon intention ? Je songeais déjà à te mettre la couronne sur la tête, je songeais à faire en sorte que mes sujets n'aient rien à te reprocher quand tu serais leur roi. Je songeais à les empêcher de penser que tu étais leur tyran plutôt que leur souverain, et à faire en sorte qu'ils n'aient pas à craindre que celui qui avait déjà volé leurs biens lorsqu'il était leur concitoyen ne les ruine complètement lorsqu'il serait leur maître. Voilà, Théodat, la véritable cause de la fermeté de ce reproche qui a suscité en toi la haine que tu as à mon égard. Je m'étonne cependant qu’ayant passé la plus grande partie de ta vie à étudier la philosophie de Platon, tu n’acceptes pas qu'on ait voulu te corriger. Ceux qui apprennent la sagesse avec autant de soin devraient la pratiquer, et je ne peux pas m'empêcher de trouver étrange que tu te souviennes si bien des sermons que je t’ai faits alors que tu ne te souviens plus de la bonté que j’ai eue envers toi. Lorsque j'ai décidé de te couronner, c’était le résultat d’une mûre réflexion. J'ai pris en considération ce que tu étais et j'ai essayé d'anticiper ce que tu serais un jour. J'ai vu en toi deux tendances qui ne me plaisaient pas. La première était cette prétention que tu avais toujours eue pour les affaires de la guerre, et la seconde était cette envie cupide d'acquérir chaque jour de nouvelles richesses. Cependant, j'ai cru que la première t’obligerait à être prudent, et pour la seconde, j'ai songé qu'un homme qui satisfaisait autrefois son avidité en s'appropriant trois ou quatre pieds de terre sur ses voisins se guérirait de cette affreuse passion lorsque je lui aurais donné un royaume. Je pense sincèrement que cette avidité aurait au moins pu se transformer en une bonne ambition. Que désormais, tu aurais autant de préoccupation à mériter les biens que je t’ai donnés que tu en avais toujours eu pour acquérir de nouvelles richesses. Et finalement, je croyais qu'à partir d'un sujet avare et paresseux, je ferais de toi un roi prudent et reconnaissant. Mais j’aurais dû aussi penser que celui qui ne 71