supportait pas d'avoir des voisins à sa maison de campagne et qui commettait cent injustices pour étendre ses limites de quelques pas ne pourrait pas se décider à partager un trône avec moi. Vraiment, Théodat, je doute que tu aies bien réfléchi à ce que tu fais. Est-il possible qu'après que je t’ai donné un grand royaume, après que je t’ai rendu maître des Ostrogoths et de toute l'Italie, tu puisses me destiner pour lieu d'exil cette si petite île de la Martana, située au milieu d'un lac, où à peine un petit château peut trouver sa place ? Non, Théodat, ne dissimulons pas la vérité. Le lieu de mon exil pourrait plutôt être appelé ma prison, voire mon tombeau. Peut-être y rencontrerai-je mes bourreaux en pensant y rencontrer mes gardes, et peut-être même que pendant que je te parle, tu trouves mon discours agaçant simplement parce qu’il repousse le moment fatal où je dois mourir. Pourtant, tu peux encore ne pas achever le crime que tu es sur le point de commettre. Réfléchis, Théodat, à ce que tu t’apprêtes à entreprendre. Ma mort te coûtera peut-être la vie. Immortalise ton nom par un autre moyen que l'ingratitude. Ne commence pas ton règne par une injustice et que la correction d'une mauvaise intention t’en fasse adopter une meilleure. Considère que si je n'avais pas voulu que tu règnes, je ne t’aurais pas fait roi, et il est difficile de croire que je t’aurais fait monter sur le trône uniquement pour te précipiter dans l'abîme. Alors, que crains-tu de moi ? Ou plutôt, que ne devrais-tu pas craindre si tu m'exiles ? Penses-tu que les Ostrogoths et les Italiens supporteront que la fille de Théodoric soit indignement traitée par un homme qu'ils détestaient déjà lorsqu'il était du même rang qu’eux ? Cette haine secrète qu'ils ont pour toi éclatera dès qu'ils trouveront un prétexte. Ils chercheront à venger mon affront et à se venger eux-mêmes. Ainsi, sans que je participe directement à ta chute, mon sort renversera le trône sur lequel je t’ai placé. L’insulte que tu me fais ne m'atteint pas seulement moi. Tous les rois de la terre doivent s'en préoccuper. Et tu as des voisins qui, sous prétexte de protéger mon innocence ou de venger ma mort, envahiront une partie de tes domaines. Si le destin m'avait traitée différemment, si j'avais perdu le trône d'une autre manière, si mes sujets s'étaient révoltés, si l'empereur Justinien m'avait fait la guerre, si Bélisaire m'avait vaincue, si un conquérant avait usurpé mon royaume, je me consolerais plus facilement. Mais de constater que de ma propre main, je me suis arraché la couronne pour la donner à mon persécuteur, c'est ce qui met à l'épreuve à la fois toute ma constance et tout mon honneur. Quoi, Théodat ! Tu peux me voir, au pied du même trône où je t’ai vu naguère, à la fois en tant que sujet fidèle et en tant que plaignante ? Tu peux me voir là, condamnée injustement à un exil perpétuel, sans avoir commis d'autre crime dans ma vie que de t’avoir conféré le pouvoir souverain ? Peut-être est-ce aussi comme cela que le ciel me punit pour ma décision, pour que toutes les injustices que tu commets soient vengées sur moi, et que je goûte moi-même ce que tu feras sûrement goûter aux autres ? Pourtant, puisque mes intentions étaient très sincères, je ne peux pas m’excuser de ce que j'ai fait pour 72