toi. Mais étant suffisamment sage pour ne pas regretter une bonne action, sois assez juste pour corriger une mauvaise intention. Et même si ce n'est pas par amour pour moi, fais-le par amour pour toi-même. L'ingratitude est un défaut qui, vu sur un trône, ne fait que créer des monstres. La générosité et la gratitude sont les véritables qualités des rois, tandis que l'avarice et l'ingratitude sont des failles auxquelles ils ne devraient jamais succomber. Ce sont les rois qui distribuent les bienfaits et les récompenses, et ce qui est avarice dans l'âme d'un sujet devrait être ambition dans celle d'un souverain. Oui, Théodat, un roi peut être ambitieux et charitable sans être déshonoré. Mais il ne peut jamais être avare ni ingrat sans être méprisé par ses sujets et être détesté par la postérité. Tes livres t’ont sans doute enseigné ce que je dis, mais pour ma part, seule l'expérience m'a appris cela. Mais tu constates qu'il est bien plus facile de faire un beau discours qu'une belle action. Le chemin de la sagesse est aisé lorsque l’on a des sentiments altruistes. Au contraire, la sagesse apporte sa propre récompense, et la satisfaction de faire le bien en est le prix le plus agréable. Mais ce qui rend difficile ta volonté à emprunter cette voie, c'est que tu es en conflit avec tes propres désirs. Tu ne peux être juste qu'en luttant contre toi-même, tu ne peux être reconnaissant qu'en trahissant tes sentiments, tu ne peux être généreux qu'en t’arrachant le cœur. En réalité, tu ne peux suivre la voie de la sagesse qu'en te déclarant la guerre à toi-même. Cependant, Théodat, maintenant tu sais que tu n’as qu'un seul ennemi à vaincre, entreprends cette lutte, et sois assuré qu'elle t’apportera la gloire. Il n'est pas nécessaire de siéger devant une ville, de livrer bataille, de supporter les désagréments du voyage, de dépenser les trésors que tu aimes tant pour lever des armées, de risquer ta vie en cette occasion, de partir à la recherche de ton ennemi dans un pays lointain, de perturber ce profond repos qui fait ton confort. Car, en fin de compte, tu trouveras en toi-même, sans même quitter ton cabinet, à la fois ton adversaire et ton allié. Si tu parviens à surmonter tes instincts et à choisir fermement le parti le plus juste, tu auras à peine entrepris la décision de vaincre que tu seras déjà victorieux. En d'autres termes, dès que tu décideras d'abandonner l’absurdité et d'embrasser la sagesse, tu deviendras sage. Tu pourrais me dire que cette lutte interne qui se déroule en l'absence de témoin autre que toi-même ne sera pas glorieuse car elle ne sera pas connue. Cependant, Théodat, la sagesse ne peut pas être dissimulée. Dès que tu te rallieras à elle, le monde entier le saura. Tu ne chercheras plus à accumuler des trésors, si ce n'est pour enrichir tes sujets ; tu t’endetteras pour récompenser ceux qui t’ont rendu service ; tu régneras sur ton peuple avec équité et clémence ; tu seras vénéré par tous les princes voisins ; tu ne m’exileras plus ; et ton nom traversera les siècles à venir avec honneur. Voilà, Théodat, le fruit que tu peux récolter d'une victoire qui ne dépend pas du caprice du destin ou de la force des armes, mais qui est entièrement entre tes mains. Je te laisse la liberté d'attaquer et de vaincre cet ennemi que j'ai couronné. Je me retire et te cède tout le mérite de ce combat. 73