de retenir le souhait que Rome soit captive et que Coriolan soit encore en vie. Je ne connais pas la persistance de Brutus qui lui a permis de voir ses enfants mourir sans douleur. Cette dureté de cœur relève plus de la férocité que de la grandeur ou que du courage. Les larmes sont légitimes, et la compassion n'est pas contraire à la générosité. Quand je disais à Coriolan que j'aurais préféré mourir plutôt que de le voir vainqueur de Rome, je ne disais rien qui contredise la vérité. Mais quand je dis aussi que je préférerais être morte et que mon fils soit en vie, je ne dis rien qui aille à l'encontre de la justice naturelle ni de celle Rome. Je donne à la nature et à la raison ce que je ne peux pas leur évincer et je n'enlève rien à la République. J'ai sacrifié mon fils pour elle, et c’est donc à elle de souffrir au moins autant que je pleure la victime que j'ai immolée pour sa préservation. Après avoir fait tout ce qu'une véritable Romaine pouvait faire, il est normal que je fasse ensuite tout ce que la douleur peut exiger de la tristesse d'une mère. Toutes celles qui perdent leurs enfants ont toujours une raison juste de s’apitoyer. Cependant, elles ont pour consolation la liberté de maudire ceux qui ont ôté la vie à leurs enfants. Mais moi, non seulement je pleure la mort de mon fils, mais je maudis aussi le fait que c'est moi qui l'ai fait mourir. Et pour augmenter ma douleur, il y a une loi naturelle qui ne veut pas que je me pardonne ce que j'ai fait. Mon fils, mon cher Coriolan, puis-je suivre un sentiment si horrible ?! Non, il est trop opposé à la raison et à la nature. Il faut que je subisse et que je regrette jusqu'à ma mort la perte que j'ai subie. Ce n'est pas le Coriolan ennemi de Rome que je regrette, c'est celui qui a donné son sang pour sa gloire à plusieurs occasions, celui qui a servi dix-sept ans à la guerre avec une ardeur incomparable et qui n'a eu pour récompense que les blessures qui couvraient son corps. Dames romaines, la naissance et la vie de cet homme ne le rendent pas indigne de vos larmes. Il était issu d'une lignée royale, car Ancus Marcius était son prédécesseur. Il semblait avoir plus le droit qu'un autre aux avantages de la République, car il était incapable de les utiliser à mauvais escient. Mais peut-être que c’est pour cette raison que les Romains lui ont refusé le consulat, de peur qu'il n'y voie un moyen de remonter sur le trône de ses ancêtres. Non, cette raison ne peut être valide, et pour comprendre les intentions de Coriolan, il suffit de se souvenir de toute sa vie. Lors de la bataille contre Tarquin le Superbe, il a clairement montré que son désir était de mériter la couronne de chêne que l’empereur lui a posée sur la tête, sans penser à celle de ses prédécesseurs. En voyant l'un de nos citoyens au sol, il s'est précipité pour lui servir de bouclier et a protégé son corps avec le sien, l’abritant du danger. Il a rassemblé toutes ses forces et tout son courage et a donné la mort à celui qui voulait lui ôter la sienne. Si les Romains pensent avoir des raisons de se méfier de Coriolan, cette seule action devrait suffire à les dissuader de le considérer comme un tyran. Il est peu plausible qu'il se soit exposé autant pour sauver un humble citoyen s'il avait eu l'intention de détruire toute la République un jour. Mais ce n'est pas seulement lors de cette occasion qu'il a montré sa ferveur pour la République. Ne s'est-il pas porté volontaire dès qu’il le pouvait ? Ne s'est-il pas 84