tout à fait extraordinaire. Eudoxie est sans aucun doute un miracle de la nature. Elle est née avec des avantages que je n'ai jamais vus que chez elle. Si sa naissance était aussi remarquable que son esprit, et si au lieu d'avoir été élevée dans la solitude, elle avait été nourrie à la cour, elle serait aujourd’hui une personne incomparable à aucune autre. Mais malheureusement, elle a commencé là où je m'apprête à finir. Il est plus facile pour ceux qui ont une bonne éthique de vivre avec gloire dans la solitude après avoir commandé un empire que de passer de la solitude à la domination. Ceux qui ont su diriger des peuples entiers pourraient sans doute conduire des troupeaux sans les égarer, mais tous ceux qui savent se servir d’un bâton de berger ne pourraient pas porter un sceptre. En fin de compte, tous les rois pourraient être bergers, mais tous les bergers ne pourraient pas être rois. Les philosophes qui se considèrent comme les juges de toutes les actions de l’humanité, qui prétendent savoir ce que valent les couronnes de royaumes imaginaires, qui donnent des lois à toute la terre et qui élaborent des modèles selon lesquels les rois doivent arranger leur vie et leur pouvoir… Ces hommes, qui font des rois si parfaits dans leurs écrits, seraient incapables de régner. Eudoxie m'offre un exemple contraire à cette pensée. Elle est bercée dans la philosophie, elle est la fille d'un homme qui l'a instruite. Elle est née avec des instincts admirables, elle sait tout ce qu'une personne de son rang peut savoir. Lorsqu'elle est arrivée à la cour, elle était sans ambition. Elle a de l'esprit autant qu'on peut en avoir. Cependant, parce qu'elle ne connaissait le monde que par les livres et que son expérience ne lui avait rien appris, sa simplicité l'a rendue vulnérable aux manigances de Chrysaphios, et l'a sans doute conduite aux sentiments qu'elle a aujourd'hui pour moi. Toutes ces choses, Flavien, je l’ignorais lorsque j'ai allumé dans le cœur de l'empereur cette flamme qui me détruit aujourd'hui. Mais je sais maintenant qu'il faut une philosophie active pour être capable de régner, que l'expérience est l’enseignement le plus fiable des rois, et j'ai bien compris par ma propre expérience qu'on ne peut être parfaitement sage qu'à ses dépens. Je ne devrais pas m’étonner qu’Eudoxie fasse tout ce qu'elle peut pour préserver le rang que je lui ai donné. C'est si avantageux pour elle que je trouve étrange qu'elle n'en fasse pas encore davantage. Oui, le changement qui se produit aujourd'hui ne m'étonne pas plus qu’il ne me chagrine. Je conserve tellement d'affection pour Théodose et d'estime pour Eudoxie que pour les empêcher de commettre une faute publiquement, je suis prête à me déposséder moi-même du pouvoir que j’ai, à abandonner Théodose à son affection pour l'impératrice Eudoxie et à l'abandonner elle-même à son manque d'expérience et aux machinations de Chrysaphios. Je ne sais pas, Flavien, si mes hypothèses seront aussi fausses aujourd'hui qu'elles l'étaient lorsque j'ai couronné Eudoxie, mais le règne de ces éminentes personnes ne sera ni long ni heureux. La complaisance de Théodose et le manque d'expérience de l'impératrice éveillent ma pitié. Je la vois déjà se précipiter à consulter ses livres à la moindre circonstance imprévue. Mais mon père, ses livres n'ont pas été écrits pour notre époque et si 97