se mit en marche, ordonnant à Achémènes de le suivre. Il le faisoit garder à vue, sans qu'il s'en apperçût, jusqu'à ce qu'il se fût assuré de la vérité. Voici ce qui se passoit à Memphis pendant ce tems-là. Après le départ d'Achémènes, Thyamis, revêtu du sacerdoce, la première dignité de la ville, ayant célébré les obsèques de son père, et rendu à sa cendre les devoirs funèbres dans le tems prescrit, pouvant, par les lois de la religion, se montrer en public, s'occupa à chercher Théagènes. Après beaucoup d'informations, ayant appris que ces deux amans étoient dans le palais, il fut trouver Arsace. Il avoit bien des motifs pour s'intéresser à ces deux étrangers. Il se souvenoit que son père, en mourant, les lui avoit recommandés d'une manière toute particulière. Il remercia la princesse de ce que, pendant ces jours de deuil, où le temple n'avoit été ouvert qu'aux prêtres, elle avoit reçu dans son palais, et traité avec toutes sortes d'égards, deux Grecs à la fleur de l'âge, sans amis et sans connoissances. Il ajouta qu'en re-demandant un pareil dépôt, il ne demandoit rien que de juste. Vous m'étonnez, lui répond Arsace; votre bouche rend témoignage à ma bonté et à mon humanité, et votre démarche actuelle semble annoncer le contraire: vous semblez douter que je puisse et que je veuille protéger ces deux étrangers, et leur faire un sort digne d'eux. Non, répond Thyamis, je n'en doute point: je sais que s'ils veulent rester ici, rien ne leur manquera. Mais ils sont d'une naissance illustre; ils ont été jusqu'ici en butte aux traits de la fortune, errans de pays en pays. Ils n'aspirent qu'à retourner dans leur patrie, à revoir leurs parens. Outre les liens particuliers qui m'attachent à eux, mon père m'a laissé, par héritage, l'obligation de les secourir. Fort bien, réplique Arsace, vous semblez ne vouloir réclamer ici que les droits de la justice: eh bien! ils sont pour moi, ces droits de la justice, autant que les droits de propriété l'emportent sur toutes ces frivoles raisons d'attachement.—Comment donc êtes-vous leur maîtresse?—Par les lois de la guerre: ils sont prisonniers, et, en cette qualité, esclaves. Thyamis comprend qu'Arsace veut parler de l'expédition de Mitranes. Princesse, dit- il, nous ne sommes plus en guerre, mais en paix; l'une enlève, l'autre rend la liberté aux hommes: mettre ses semblables dans les fers, c'est être tyran; les mettre en liberté, c'est régner. Ce ne sont pas les mots, mais les effets qui font la paix et la guerre. Rendre la liberté à ces étrangers, ce seroit agir bien plus noblement: jamais le beau et l'utile ne sont séparés l'un de l'autre, ils sont toujours liés. Quelles vues de gloire ou d'intérêts peuvent vous engager à retenir ces deux étrangers? A ces mots, Arsace n'est plus maîtresse d'elle-même; elle ressent tous les tourmens des amantes poussées à bout. Elles veulent cacher leur passion, et elles rougissent; est-elle découverte, elles renoncent à toute pudeur. Tant que leur amour n'est pas connu, elles sont douces, traitables; mais si leur secret leur échappe, elles sont audacieuses, effrontées. Trahie par sa conscience, persuadée que Thyamis connoît l'état de son ame, Arsace ne voit plus en lui un ministre des dieux, revêtu d'un caractère respectable; elle quitte tout sentiment de la pudeur si naturelle à son sexe. Non, non, s'écrie-t-elle, vous ne vous applaudirez pas long-tems de votre victoire sur Mitranes; il viendra un tems où Oroondates vengera sa mort et celle de tous ses