Ainsi parle Chariclée. Théagènes l'exhorte à mieux parler des dieux, à être plus circonspecte et réservée à leur égard. O dieux! s'écrie-t-elle tout-à-coup, soyez-nous favorable. Je me rappelle un songe que j'ai eu la dernière nuit, si toutefois ce n'étoit qu'un songe: je ne sais comment je l'avois oublié; mais à présent il me revient à l'esprit. Il est conçu en deux vers, avec leur mesure: le divin Calasiris, soit que je l'aie vu, soit que j'aie cru le voir, les prononçoit; en voici à-peu-près le sens: Toi qui portes une pantarbe, ne crains point les atteintes de la flamme. Les destins font des choses auxquelles on ne s'attend pas. Théagènes, comme s'il étoit saisi d'une fureur divine, s'agite, s'élance autant que lui permettent ses chaînes. O dieux! s'écrie-t-il, regardez-nous d'un œil de pitié. Et moi aussi je suis poète; un oracle m'a aussi été rendu par le même devin, soit que ce fût Calasiris, soit que ce fût quelque dieu revêtu de ses traits; je croyois entendre ces paroles: Demain tu échapperas aux chaînes d'Arsace, et tu arriveras en Ethiopie. Je vois quel est le sens de cet oracle. Par l'Ethiopie, il désigne l'empire des morts, où je serai avec Proserpine, qui est la jeune fille dont parle l'oracle. Mes fers seront brisés; c'est-à-dire, mon ame se dégagera des liens de mon corps. Trouves-tu dans cette explication quelque chose de contraire au sens que présente cet oracle? Pantarbe veut dire qui craint tout; et l'oracle ordonne de ne pas craindre, même le feu. O mon cher Théagènes! reprend Chariclée; toujours malheureux, lu ne vois par-tout que des malheurs et des souffrances. L'homme ne considère que le présent. Cet oracle me présente quelque chose de plus flatteur. Je pourrois bien être cette jeune fille avec laquelle tu dois t'échapper des fers d'Arsace, et aller en Ethiopie, ma patrie. Nous n'en voyons pas, il est vrai, les moyens; cependant nous pouvons le croire: rien n'est impossible aux dieux; s'ils nous ont rendu cet oracle, ils l'accompliront: déjà ils ont accompli le premier. Me voilà pleine de vie, moi que tu n'espérois plus revoir. J'ignorois que je portois moi-même l'instrument de mon salut. Mais à présent je comprends comment j'ai échappé aux flammes. J'ai toujours eu la précaution de porter sur moi les objets exposés avec moi. Prête à paroître devant les juges, voyant mon tombeau ouvert sous mes pas, je les ai secrètement attachés à ma ceinture, pour me ménager une ressource dans l'avenir, si j'échappois, ou pour parer mon cercueil et renfermer ma cendre, si je descendois dans l'empire de la mort. Ce sont de riches colliers, des pierres précieuses des Indes et d'Ethiopie, parmi lesquelles se trouve un anneau dont mon père fit présent à ma mère, lorsqu'il briguoit sa main. Le chaton est une sorte d'émeraude appelée pantarbe: des caractères sacrés sont gravés dessus. Elle a, je crois, quelque chose de surnaturel qui lui donne la vertu de garantir des atteintes du feu, de donner au milieu des flammes l'impassibilité: c'est elle sans doute et la volonté des dieux qui m'a sauvée. Ce qui me confirme encore dans cette opinion, c'est que j'ai souvent entendu dire au divin Calasiris que les caractères gravés sur cette bandelette exposée avec moi, et qui me ceint les reins actuellement, lui attribuent cette vertu.