riant! voilà donc les grands bienfaits de la fortune! des chaînes d'or remplacent des chaînes de fer. Mais des chaînes plus riches ne font de nous que des prisonniers plus précieux. Chariclée sourit aussi; mais elle tâche d'inspirer d'autres idées à Théagènes, de lui donner de la confiance aux oracles des dieux, de le consoler par la vue d'un avenir plus heureux. Hydaspe, en se présentant devant Syène, avoit espéré emporter la ville d'emblée, malgré les remparts dont elle étoit défendue. Il fut d'abord repoussé par les assiégés, qui, non contens de se défendre avec courage, l'accablèrent encore d'injures du haut des murs. Irrité de ce qu'au lieu de se rendre à la première attaque, ils osoient lui résister, ce prince résolut de ne pas perdre le tems à faire un siège dans les formes, ni à essayer le secours des machines, qui laissent toujours échapper des ennemis. Il fit faire des travaux immenses, qui devoient, en peu de tems, détruire la ville entièrement: voici ce qu'il entreprit. Il distribua par portions le terrein autour de Syène; il assigna à dix hommes un espace de dix orgies (dix toises), leur ordonna de creuser un fossé, dont il fixa la largeur et la profondeur, qui devoient être très-grandes. Les uns béchoient, les autres tiroient la terre, d'autres l'entassoient sur les bords du fossé, élevoient un mur vis-à-vis celui de la ville. Personne ne les troubla dans leurs travaux, et ne traversa la construction de ce mur. Effrayés de la multitude des ennemis, les assiégés n'osoient sortir de la ville; les flèches qu'ils lançoient du haut des murs ne pouvoient les atteindre; car Hydaspe, pour les rendre inutiles, avoit laissé entre les deux murs un espace assez large pour que ses soldats fussent hors de la portée des traits. Ces ouvrages furent achevés avec une promptitude incroyable, vu la multitude innombrable des Ethiopiens. Il en entreprit ensuite un autre. Il laissa entre les deux murs, dans toute leur circonférence, un espace d'environ un demi-plèthre, plein et uni. A l'extrémité il construisit deux murs, qu'il prolongea jusqu'au Nil, et dont la hauteur augmentoit progressivement. Ces deux murs, écartés l'un de l'autre d'un demi-plèthre, occupoient, en longueur, tout l'espace qui séparoit la ville du Nil. Lorsqu'ils furent prolongés jusqu'au bord du fleuve, il facilita l'écoulement des eaux par un conduit qui donnoit entre ces deux murs. Les flots alors, tombant d'un lit élevé, vaste et large, dans un autre incliné, étroit et resserré par des rives que l'art avoit construites, se précipitèrent avec un bouillonnement affreux et un fracas horrible qui retentit au loin. A ce bruit, à ce spectacle, les assiégés comprennent toute l'horreur de leur situation; ils voient que ces travaux n'ont pour but que de les inonder: ils se disposent à se défendre contre les dangers qui les menacent, dans une ville dont les ouvrages des ennemis, et l'eau qui approche de leurs remparts, les empêchent de sortir. D'abord, ils garnissent d'étoupe et de bitume les fentes des portes; ils affermissent ensuite leurs murs sur leurs fondemens: l'un porte de la terre, un autre des pierres, celui-ci des morceaux de bois, chacun ce qu'il trouve; personne n'est oisif: femmes, enfans, vieillards, tous travaillent. Quand la vie est en danger, les distinctions d'âge et de sexe disparoissent.