Les plus robustes et les plus vigoureux sont occupés à creuser un canal souterrain, qui communique de la ville au fossé des ennemis. Voici comme ils exécutent ce projet. Ils creusent perpendiculairement auprès du mur un puits de la profondeur de cinq orgies (cinq toiles); passant ensuite sous les fondemens de leurs murs, ils conduisent obliquement, à la lueur des flambeaux, une mine jusques sous les travaux des ennemis: derrière les pionniers sont des travailleurs qui prennent les terres, se les transmettent les uns aux autres, et les transportent dans un endroit de la ville autrefois cultivé, où ils élèvent un tertre: ils veulent, en creusant ainsi, faire enfoncer le terrain sous la masse des flots: mais leur travail est inutile. Déjà le Nil a franchi la longueur du canal; déjà les flots remplissent l'espace renfermé entre la ville et le mur élevé par les ennemis. Syène n'est plus qu'une île au milieu des terres, autour de laquelle se balancent les vagues du Nil. Ce mur résiste pendant quelque tems. La masse des flots qui se succèdent les uns aux autres, grossit à chaque instant, et pénètre jusques dans les fondemens à travers les crevasses d'une terre noire et mouvante, entr'ouverte par les chaleurs excessives de l'été. Déjà le terrain cède à un si grand poids dans les endroits où il est miné, et le mur s'affaisse. Le balancement des crénaux, l'oscillation des guerriers qui défendent les remparts, présagent une ruine prochaine. Aux approches de la nuit, une partie du mur qui est entre les tours, tombe avec fracas. Cependant, l'eau, arrêtée par les décombres, qui excèdent sa hauteur de cinq coudées, ne peut entrer encore dans la ville, mais la menace d'une inondation prochaine. Syène alors retentit de cris de douleur et de désespoir, qui sont entendus des ennemis eux-mêmes. Les habitans élèvent les mains au Ciel, implorent le secours des dieux, la seule espérance qui leur reste: ils conjurent Oroondates de traiter avec Hydaspe. Le Satrape, contraint de céder à la nécessité, se rend à leurs prières. Mais les flots l'environnent de toutes parts, et il ne peut envoyer personne pour traiter avec les assiégeans. La nécessité lui suggère un expédient. Il écrit une lettre, l'attache à une pierre, et la lance avec une fronde au-dessus des flots[61]. Mais l'espace est trop large, et la pierre tombe dans l'eau: une seconde tentative ne lui réussit pas mieux. Le danger est pressant; il s'agit de la vie de tous les habitans: aussi tous les frondeurs et tous les archers de lancer au-delà des eaux. Enfin les habitans, tendant les mains vers les ennemis, qui, placés sur leurs retranchemens, jouissent du spectacle de leur désespoir, tâchent, par leur attitude suppliante, de leur faire comprendre l'intention de ces archers. Tantôt ils les élèvent vers le Ciel, tantôt ils les mettent derrière le dos, et les présentent aux chaînes, comme des esclaves. Hydaspe comprend qu'ils lui demandent la vie, et il est prêt à la leur accorder. Un ennemi suppliant éveille les sentimens d'humanité dans un vainqueur magnanime. Mais ces signes ne suffisent pas pour l'assurer de leurs dispositions; il en veut des preuves certaines. Il avoit des barques qui flottoient sur le fleuve; il les fait descendre le canal. Lorsqu'elles sont arrivées à l'enceinte, il les fait approcher du bord, en choisit dix nouvellement construites, y embarque des archers et des frondeurs, les instruit de ce qu'ils doivent dire, et les envoie vers les Perses. Ils voguent vers la ville couverts de leurs armes, pour se défendre en cas d'attaque imprévue de la part des assiégés.