Ce fut alors qu'on vit un spectacle nouveau: des vaisseaux voguant d'un mur vers un autre mur, des nautonniers naviguant en terre ferme, des barques traversant des plaines qu'avoit sillonnées le soc de la charrue: prodige étonnant que n'avoit pas encore montré la guerre, si féconde en miracles. Des guerriers moulés sur des vaisseaux, s'avancent vers d'autres guerriers postés sur des remparts, et sont près d'engager un combat à-la-fois naval et terrestre. A la vue de ces barques et de ces navigateurs armés, voguant vers le côté où le mur est renversé, les habitans sont frappés de stupeur: tout ce qu'ils voient redouble leur effroi; ils doutent s'ils viennent comme amis ou comme ennemis: tout est suspect, tout alarme dans un danger extrême. Ils lancent sur eux une grêle de traits et de flèches du haut des murs. Prolonger son existence de quelques heures, semble un avantage à des malheureux réduits au désespoir. Ils tâchent moins de les atteindre avec leurs traits, que de les écarter de leurs murs. Les Ethiopiens ripostent: soit qu'ils soient plus habiles, soit qu'ils ne s'apperçoivent pas de l'intention des Perses, ils en atteignent plusieurs; quelques-uns même, frappés d'un coup mortel et subit, tombent du haut des murs dans les flots. Le combat alloit s'engager et devenir sanglant. Les uns ne vouloient qu'empêcher les ennemis d'approcher de leurs murs; les autres se défendoient avec fureur. Un des principaux de Syène, déjà avancé en âge, arrive sur les remparts: Insensés! s'écrie-t- il, est-ce la crainte du danger qui obscurcit votre raison? Quoi! des hommes que nos prières appellent à notre secours, qui y viennent contre vos espérances, vous les éloignez! S'ils viennent comme amis, vous offrir la paix, c'est pour vous sauver; et s'ils viennent comme ennemis, laissez-les approcher: vous les vaincrez plus facilement. Environnés d'eau comme vous êtes, et de cette multitude immense d'ennemis, que gagnerez-vous à tuer ceux-ci? Recevons-les plutôt dans la ville, et voyons ce qu'ils veulent. Tous approuvent cet avis: le Satrape lui-même l'adopte; ils abandonnent cette partie du mur, et restent tranquilles. Quand l'espace entre les tours ne fut plus occupé, et que les habitans, en agitant des drapeaux, eurent fait comprendre aux ennemis qu'ils pouvoient approcher sans rien craindre, les Ethiopiens avancèrent, et, s'adressant de dessus leurs barques aux assiégés, ils leur parlèrent ainsi:[62] Perses, et vous habitans de Syène, Hydaspe, roi de l'Ethiopie orientale et occidentale, et aujourd'hui le vôtre, sait également subjuguer ses ennemis, et se laisser fléchir par leurs prières. La victoire est le fruit de la valeur, mais la compassion est celui de sa sensibilité. Il doit l'une à son armée; mais il ne doit l'autre qu'à lui. Votre vie est entre ses mains. Fléchi par vos prières, il consent à vous tirer du danger où la guerre vous a précipités, du danger que vous voyez, et dont vous ne pouvez échapper; mais il ne veut point vous fixer les conditions de votre délivrance; il vous laisse les maîtres de les régler. Ce seroit, selon lui, agir en tyran; et il ne veut point irriter la fortune par l'abus de ses faveurs. Les assiégés répondent qu'ils se soumettent à tout ce qu'Hydaspe voudra ordonner d'eux, de leurs femmes et de leurs enfans; qu'ils lui remettent leur ville, s'ils peuvent la sauver; ce qu'ils n'espèrent point, à moins qu'un Dieu, ou Hydaspe lui-même, ne