Les Ethiopiens, en sûreté dans leur camp, restent tranquilles, en attendant le jour qui devoit les éclairer sur cet évènement. Mais les assiégés courent de tous côtés dans la ville et sur les murs. Chacun se voyant sans danger, croit que la désolation est ailleurs. Enfin le jour paroît et fixe leur incertitude; ils voient le retranchement entr'ouvert, et l'eau s'écoulant à flots pressés. Les Ethiopiens bouchent cette ouverture avec des planches attachées les unes aux autres, soutenues en dehors avec de grosses poutres de bois; ils y entassent des fascines, qu'ils apportent, les uns du rivage, et les autres sur des barques. C'est ainsi que l'eau s'écoula; mais le terrain entre le camp et la ville étoit impraticable: ce n'étoit plus qu'une boue molle, une vase humide, dont la surface paroissoit sèche et solide, mais où les pieds des hommes et des chevaux enfonçoient également. On passe ainsi deux ou trois jours; les portes de la ville sont ouvertes. Les Ethiopiens laissent reposer leurs armes: tout dans leur camp retrace l'image de la paix; c'est une véritable trêve conclue par un accord tacite de part et d'autre: aucun des deux partis n'établit de sentinelles. Les habitans se livrent au plaisir et à la joie. La fête la plus solennelle dans l'Egypte, la fête du Nil, arriva dans cet intervalle: elle se célèbre ordinairement vers le solstice d'été, lorsque les eaux du Nil croissent. Il n'en est point de plus auguste ni de plus solennelle en Egypte. En voici la cause: Les Egyptiens regardent le Nil comme un dieu, et le plus puissant des dieux. Ils voyent en lui le rival du ciel. Chaque année, à des époques fixes, sans neige, sans pluie, leurs moissons sont arrosées par ses eaux. Telle est l'opinion de la multitude, et voici les motifs de son respect pour le Nil. Pour entretenir la vie de l'homme, il faut, selon les Egyptiens, la réunion du sec et de l'humide. Ils prétendent que tous les principes de l'existence sont contenus dans ces deux élémens. L'élément humide produit le Nil, et l'élément sec, leur pays. Voilà ce qui est connu du public. Mais les prêtres, et tous ceux qui sont admis aux mystères, changent la signification des mots: ils désignent par Isis la terre, et le Nil par Osiris. La déesse gémit de son absence, le reçoit avec transport; elle pleure encore quand elle ne le voit plus. Elle abhorre Typhon comme un ennemi implacable. Les personnes versées dans la physique et la théologie, ne dévoilent pas aux profanes le sens caché sous ces allégories; elles les débitent comme des fables. Mais le flambeau le plus brillant de la vérité étincelle toujours aux yeux de ceux qui se font initier, et qui sont admis au ministère des autels. Que l'on me pardonne cette indiscrétion: les mystères les plus cachés resteront ensevelis sous le secret le plus impénétrable. Je retourne au siège de Syène. La fête du Nil étant arrivée, les habitans, au milieu des sacrifices et des cérémonies religieuses, se délassent de leurs fatigues et de leurs maux. Leur ame recueille toutes ses forces pour oublier leurs souffrances et s'élever jusqu'à la divinité. Oroondates, à la faveur des ténèbres de la nuit et du profond sommeil des habitans, sort de la ville avec toutes ses troupes. Il fait avertir secrètement les Perses de se rendre, à une heure déterminée, à la porte par laquelle il doit sortir. Il recommande à chaque officier de n'amener ni les chevaux ni les bêtes de somme, pour prévenir