l'embarras, empêcher le bruit et le tumulte qui pourroient les trahir, de ne faire prendre aux soldats que leur armes, une planche ou une pièce de bois. Arrivés à la porte indiquée, ils jettent dans la vase ces pièces de bois, et les mettent à côté l'une de l'autre. Les derniers les transmettent aux premiers à mesure qu'ils avancent. Oroondates fait passer promptement et facilement ses soldats par-dessus ces planches, comme par-dessus un pont. Il gagne la terre ferme à l'insu des Ethiopiens, plongés dans un profond sommeil, sans précaution, sans sentinelles; il marche avec toute la célérité possible vers Eléphantide, et y arrive sans trouver aucun obstacle. Les deux Perses qu'il avoit envoyés de Syène à Eléphantide, l'attendoient, comme ils en étoient convenus avec lui: à peine leur a-t-il prononcé le mot d'ordre, qu'il leur avoit donné, que les portes s'ouvrent à l'instant. Les habitans ne s'apperçurent de la fuite des Perses qu'au point du jour. Chaque habitant ne trouve plus à son réveil les soldats qu'il logeoit. Ils s'assemblent ensuite, et ne doutent plus de leur retraite à la vue du nouveau pont. Ils se croyent perdus sans ressource. Ils s'attendent aux plus vifs reproches de la part d'Hydaspe, d'avoir abusé de sa générosité pour mieux le tromper, et faciliter la fuite des Perses. Ils prennent le parti de sortir tous de la ville, et de se remettre à la discrétion des Ethiopiens, de protester avec serment qu'ils ne se sont apperçus de rien, et de tâcher de les fléchir. Ils se rassemblent tous, sans distinction d'âge, prennent des rameaux, portent les images des dieux dans leurs mains, avec des torches, comme pour leur servir de sauve-garde. Ils avancent vers le camp des Ethiopiens par le pont qu'avoit jeté Oroondates; ils s'arrêtent à quelque distance, tombent à genoux. Tout-à-coup des cris lamentables s'élèvent vers le ciel, et implorent la clémence du vainqueur. Pour attendrir encore les ennemis, ils leur abandonnent les enfans en bas âge, pour les emporter, persuadés que ces innocentes victimes, hors de tout soupçon, réussiront mieux à émouvoir leur pitié. Ces enfans consternés, ne sachant rien, effrayés peut- être des cris qu'ils entendent, fuient loin de leurs parens et de leurs nourrices, les uns se traînant vers le camp ennemi, les autres, balbutiant, sanglottant, forment le spectacle le plus touchant et le plus lamentable. A cette vue, Hydaspe croit qu'ils viennent implorer une seconde fois sa clémence, reconnoître leur aveuglement, et avouer leur faute. Il leur envoie demander ce qu'ils veulent, pourquoi ils viennent seuls, et que les Perses ne sont pas avec eux. Les Syènois l'instruisent de tout ce qui s'est passé; que les Perses ont pris la fuite, à la faveur d'une fête solennelle qu'ils célébroient: ils protestent qu'ils n'y ont eu aucune part; que, pendant qu'ils étoient occupés des devoirs de la religion, qu'après le banquet sacré, pendant qu'ils donnoient, les Perses se sont échappés; que, quand même ils les auroient vus, ils nauroient pu les en empêcher, étant sans armes contre des hommes armés. Hydaspe soupçonne que le dessein d'Oroondates est de le surprendre et de lui tendre quelque piège. Il fait approcher les prêtres seuls; il adore les images des dieux qu'ils portent dans leurs mains, pour se faire respecter. Il leur demande s'ils n'ont pas encore quelques renseignemens à lui donner sur les Perses; où ils sont partis; quelles sont leurs forces; comment ils reviendront l'attaquer. Les prêtres répondent qu'ils ignorent