Ces peuples semblent jouer avec leurs arcs, plutôt que se battre sérieusement. Leur tête est enveloppée d'un tissu, dans lequel leurs flèches sont piquées tout autour. La partie de ces flèches garnie de plumes, est dans le tissu, et les pointes, comme autant de rayons, sortent en dehors. Chaque guerrier, dans les combats, les prend à ce tissu, qui lui tient lieu de carquois. On les voit sauter, bondir légèrement, tantôt avançant, tantôt reculant, la tête ainsi couronnée de traits, et le reste du corps nud[64]. La pointe de ces traits n'est point armée de fer. Ils tirent du dos d'un serpent un os qu'ils aiguisent, et dont ils font une flèche longue d'une coudée: peut-être même est-ce pour cela que les Grecs appellent des traits oïstoi. Les Egyptiens résistent quelque tems; ils opposent leurs boucliers à tous les traits qui pleuvent sur eux. Ce peuple est naturellement courageux, brave la mort, autant par vanité que par devoir, et craint peut-être aussi d'être puni, s'il quittoit son poste. Mais, apprenant que la cavalerie caparaçonnée est détruite; qu'Oroondates a quitté le champ de bataille; que les Mèdes et les Perses, si célèbres pour leur valeur, n'ont point soutenu leur renommée contre les habitans de Méroë, qu'ils avoient à combattre, et dont ils ont été bien maltraités, ils tournent aussi le dos, et prennent la fuite. Hydaspe, du haut d'une tour, voyant ses troupes partout victorieuses, envoie de tous côtés des hérauts pour empêcher le carnage, et ordonner à ses guerriers de prendre vivans tous ceux qu'ils pourront, et de les lui amener, et sur-tout de prendre Oroondates. Pour exécuter les ordres de leur monarque, les Ethiopiens s'étendent à droite et à gauche, diminuant beaucoup la profondeur de leurs rangs. Les deux aîles de l'armée forment un demi-cercle, enveloppent les Perses, et ne leur laissent, pour fuir, que le côté du fleuve. Ceux-ci s'y précipitent en foule. Les chevaux, les chars armés de faulx, le tumulte, le trouble, inséparables d'une déroute, les renversent les uns sur les autres. Ils reconnoissent la folie de ce qu'ils avoient d'abord regardé comme un trait d'habileté de la part du Satrape. Avant l'action, Oroondates, pour ne point être enveloppé, avoit appuyé ses derrières du fleuve, et ne s'étoit point apperçu qu'il se fermoit par là le chemin de la retraite: ce fut là qu'il fut pris. Le fils de Cybèle, Achémènes, ayant appris la catastrophe arrivée à Memphis, se repentoit d'avoir découvert à Oroondates des choses qu'il ne pouvoit plus prouver, et cherchoit à tuer le Satrape au milieu du désordre et de la déroute. Il venoit de le manquer, lorsqu'un trait, lancé par un Ethiopien, le punit de sa perfidie. L'Ethiopien, ne reconnoissant pas le Satrape, mais voulant lui sauver la vie, selon l'ordre d'Hydaspe, fut indigné de voir un Perse, à qui l'ennemi vouloit sauver la vie, tourner, par la plus noire scélératesse, ses armes contre ses compatriotes, et profiter de l'occasion d'une déroute, pour satisfaire sa vengeance particulière. Oroondates, prisonnier, est emmené devant son vainqueur. Le monarque éthiopien, le voyant couvert de sang, près d'expirer, ordonne à ses médecins de le panser, et de le rappeler à la vie[65]: lui-même il le console par ses discours. Vivez, lui dit-il; ce n'est point à vos jours que j'en veux. S'il est beau de vaincre ses ennemis sur le champ de bataille, et les armes à la main, il ne l'est pas moins de les vaincre par ses bienfaits, quand ils sont terrassés. Pourquoi avez-vous été perfide envers moi?—Oui, perfide envers vous, mais fidèle envers mon roi.—A présent que vous êtes en mon pouvoir,