peut seule montrer l'enchaînement de tout; et nous apprenons que, grâces aux dieux, elle vit encore.—Mais si on nous immole.... si Hydaspe nous rend comme prisonniers.... si nous n'arrivons pas en Ethiopie....—C'est ce que nous n'avons pas à craindre: nous avons souvent entendu dire à nos gardes que l'on nous réservoit pour être immolés sur les autels; Hydaspe se gardera bien de rendre ou de faire périr des prisonniers dont il a promis le sang aux dieux. Pour un homme religieux, c'est un crime de manquer à un vœu pareil. Si, aveuglés par la joie, nous révélons aujourd'hui ce qui nous regarde, en l'absence de ceux qui peuvent nous reconnoître et attester la vérité de nos discours, nous pourrions, sans nous en douter, aigrir, irriter Hydaspe. Ce prince pourroit regarder la majesté du trône comme insultée et outragée, si des captifs, destinés à l'esclavage, venoient, par une imposture insigne et dénuée de toute vraisemblance, se donner tout-à-coup pour les enfans du roi.—Mais les signes que tu as, que tu conserves toujours avec toi, prouveront que nous ne sommes point des imposteurs.—Ces signes sont des preuves pour ceux qui les connoissent, ou qui les ont exposés avec moi; mais pour ceux qui ne les connoissent point, qui ne peuvent même les connoître, ils ne prouvent rien: peut-être même feroient-ils soupçonner notre probité, nous feroient-ils regarder comme des brigands. Quand même Hydaspe les reconnoîtroit, qui lui persuadera que je les tiens de la reine, que c'est une fille qui les a reçus d'une mère? Théagènes, le naturel d'une mère est un témoignage irréfragable. Dès la première entrevue, un sentiment secret réveille l'amour maternel pour le fruit de ses entrailles: il ne faut donc pas négliger une circonstance, qui peut donner tant de poids à toutes les preuves que je peux apporter. En s'entretenant ainsi, ils arrivent devant le roi; Bagoas y paroît avec eux. A leur vue, Hydaspe tressaille: Dieux puissans! dit-il, je vous implore; puis il réfléchit quelques instans. Les grands de sa cour, qui l'environnent, lui demandent ce qui l'occupe. Je me rappelle, dit-il, qu'il m'est né aujourd'hui une fille semblable à celle-ci et du même âge. Je n'ai tenu aucun compte de mon songe; mais les traits de cette jeune fille me le rappellent. Ses courtisans lui répondent que son songe n'est qu'une image, qui représente souvent les choses à venir. Hydaspe, sans parler davantage de son songe, demande aux prisonniers qui ils sont. Chariclée garde le silence, et Théagènes répond qu'ils sont frère et sœur, grecs de nation. J'en suis charmé, réplique Hydaspe. La Grèce est un pays très-bon et très-beau, qui nous donne, pour remercier les dieux de notre victoire, des victimes magnifiques et du plus heureux présage. Mais pourquoi, ajoute-t-il, en souriant à ceux qui l'environnent, un fils ne m'est-il pas né aussi en songe? Les traits de ce jeune homme, frère de cette jeune captive, qui devoit paroître avec elle devant moi, auroient dû, selon vous, se présenter aussi à mon esprit en songe. S'adressant ensuite à Chariclée et lui parlant en grec, langue cultivée par les Gymnosophistes et à la cour d'Ethiopie: Et vous, dit-il, pourquoi gardez-vous le silence, et ne répondez-vous pas à mes questions?—C'est aux autels, sur lesquels vous devez faire couler notre sang en l'honneur des dieux, que vous connoîtrez moi et mes parens.—Où sont-ils?—Ils sont ici et ils assisteront au sacrifice. Elle rêve en effet, dit Hydaspe en souriant, cette fille qui m'est née en songe; elle s'imagine que, du milieu de la Grèce, ses parens se trouveront ainsi transportés à Méroë. Qu'on prenne soin d'eux; qu'on ne les laisse manquer de rien: ils orneront la fête. Quel est