fille devenue tout-à-coup belle et grande: les douleurs de l'enfantement n'étoient que les inquiétudes où me jetoit cette guerre: cette fille, que je mettois au monde, n'étoit que l'emblème de cette victoire. Allez, répandez dans la ville cette heureuse nouvelle. Aussitôt des coureurs exécutent cet ordre. Couronnés de lotos, qui croît sur les rives du Nil, agitant dans leurs mains des branches de palmier, ils parcourent à cheval les principaux quartiers de la ville. Leur extérieur seul annonce la victoire. La joie se répand dans Méroë. Nuit et jour, ce ne sont que danses, jeux, sacrifices offerts aux dieux dans les maisons et dans les places publiques. On couronne les temples; l'alégresse est universelle, bien moins à cause de la victoire, que de la conservation d'Hydaspe, prince chéri de ses sujets, comme un père de ses enfans, pour sa justice, sa bonté et sa douceur. Persine fait rassembler dans l'enceinte sacrée, au-delà du fleuve, une multitude de bœufs, de chevaux, de brebis, de cailles, de gryffons et d'animaux de toute espèce. Cent de chaque espèce doivent être immolés, et les autres sont destinés pour un banquet public. Elle va trouver aussi les Gymnosophistes: ils habitent un bois consacré à Pan; elle leur remet la lettre d'Hydaspe, les exhorte à se rendre à l'invitation du roi, et, par déférence pour elle-même, à venir embellir de leur présence la cérémonie. Ils prient la reine d'attendre quelques instans. Ils se retirent dans un temple pour consulter les dieux, selon leur coutume, sur ce qu'ils doivent faire: ils reviennent bientôt; tous se taisent; le chef du sacré collège, Sisimithrès, prenant la parole: Princesse, dit-il, nous nous y rendrons; les dieux l'approuvent: ils nous annoncent qu'il s'élèvera du trouble et du tumulte pendant la fête; mais l'issue sera heureuse. Un membre de votre corps, une partie de la famille royale est perdue; mais le destin vous la fera retrouver. Votre présence, répond Persine, préviendra tous les malheurs et les changera en bien. Lorsque je saurai l'approche du roi, je vous en instruirai. Vous n'avez pas besoin de nous en instruire, répond Sisimithrès? il arrivera demain matin; une lettre que vous recevrez bientôt vous l'apprendra. Persine était prête de rentrer dans son palais, lorsqu'un cavalier lui remet une lettre d'Hydaspe, dans laquelle ce prince annonce son arrivée pour le lendemain matin. Des hérauts aussitôt publient cette nouvelle dans Méroë: les hommes seuls peuvent aller au-devant du roi; les femmes sont privées de ce plaisir; il ne leur est pas permis d'assister aux sacrifices offerts aux plus purs et aux plus brillans des dieux, la Lune et le Soleil. On craint que ces sacrifices ne soient souillés par quelque impureté, même involontaire De toutes les femmes, la seule prêtresse de la Lune a droit d'y assister; Persine est revêtue de cette dignité; d'après l'usage et les lois de l'Ethiopie, le roi est prêtre du Soleil, et la reine prêtresse de la Lune. Chariclée devoit y être, non comme spectatrice, mais comme une victime, dont le sang devoit arroser l'autel de la Lune. Tout dans la ville est en mouvement. Sans attendre le jour indiqué, les habitans passent dès le soir le fleuve Astaboras; les uns sur les ponts, les autres dans des barques faites de roseaux. Il y en a beaucoup répandues sur les bords du fleuve: elles abrègent le chemin à ceux qui demeurent loin des ponts. Ces barques, construites de