les prémices de la guerre. Hydaspe comprend qu'ils demandent du sang humain; mais ce sang est celui des prisonniers, et il n'est jamais répandu que dans les guerres étrangères. Il fait faire silence avec la main, leur fait entendre qu'ils vont être satisfaits, et il ordonne aussitôt d'amener ceux qui sont destinés à la mort. Ces malheureux paroissent; avec eux, sont Théagènes et Chariclée. On leur a ôté leurs chaînes; la frayeur, l'abattement sont peints sur leur visage. Théagènes est moins consterné; la gaieté, le sourire sont sur les lèvres de Chariclée: ses regards sont fixés sur Persine. La reine se sent émue en la voyant; elle pousse un profond soupir: O mon époux, dit-elle, quelle victime vous avez choisie! jamais je n'ai vu de beauté aussi accomplie: quelle majesté dans ses regards! quel courage dans l'adversité! que sa jeunesse attendrit mon cœur! Hélas! si la fille que nous avons perdue vivoit encore, elle auroit à peu-près cet âge. Dieux! s'il était possible de la dérober au funeste couteau..... quel plaisir ce serait pour moi d'être servie par elle! Peut-être l'infortunée est grecque; son extérieur n'est pas celui d'une égyptienne. Elle est grecque, reprend Hydaspe; elle doit faire connoître aujourd'hui les auteurs de ses jours; au moins elle l'a promis; mais elle ne le pourra. Il est impossible de la sauver. Son sort me touche; je ne sais pourquoi je me sens attendri: je voudrais.... mais la loi, vous le savez, veut qu'on immole un homme au Soleil, et une fille à la Lune. C'est la première prisonnière qui m'est tombée entre les mains; c'est elle qui a été destinée la première à la mort. Il n'est pas possible de tromper le peuple, de différer le sacrifice: il ne reste pour elle qu'une ressource, c'est de monter, comme vous savez, sur le brasier, et d'être convaincue de s'être souillée par le commerce de quelque homme. La loi veut que l'on ne présente au Soleil et à la Lune que des victimes sans tache. Il n'en est pas de même des victimes offertes à Bacchus. Mais si elle est convaincue d'avoir perdu sa virginité, pourrez-vous, sans vous compromettre, l'admettre auprès de vous? Quelle en soit convaincue, répond Persine, peu m'importe, pourvu qu'elle soit sauvée. La guerre, la captivité, l'éloignement de sa patrie, suffisent bien pour excuser une jeune fille que sa beauté a dû exposer, plus que toute autre, à la violence. Ainsi parle la reine. Des larmes, qu'elle s'efforce de cacher, s'échappent de ses yeux. Hydaspe fait apporter le gril. Les enfans seuls peuvent le toucher impunément. On choisit parmi les prisonniers les plus jeunes; on les fait sortir du temple; on les place au milieu de l'assemblée, et on les fait monter, sur ce gril les uns après les autres. A peine y posent-ils les pieds, qu'ils sentent les atteintes de la flamme; quelques-uns même n'en peuvent supporter les approches. Ce gril est formé de barres d'or, qui se coupent transversalement: il est uniquement destiné à cet usage. Quiconque est souillé ou même parjure, se sent brûler aussitôt qu'il pose les pieds dessus, tandis que l'innocence et la vertu le foulent impunément. Tous ceux qui y montent, excepté deux ou trois Grecques, dont le fatal foyer atteste la pureté, sont destinés à être immolés sur l'autel de Bacchus. Théagènes y monte à son tour, et sa vertu est hautement reconnue. L'admiration que sa beauté, son port, avoient d'abord excitée, redouble, lorsqu'on voit qu'à la fleur de l'âge il n'a point encore goûté les plaisirs de l'amour: dès ce moment sa mort est arrêtée.