Les voilà donc, dit-il à Chariclée à l'oreille, les voilà, les récompenses que l'on destine en Ethiopie à la vertu! Une mort funeste est le prix de la chasteté. Pourquoi donc ne pas te faire connoître? qu'attends tu? qu'on nous immole. Parle, je t'en conjure; lève le voile qui couvre ton berceau. Si tu te fais reconnoître, et que tu demandes ma vie, peut-être l'obtiendras-tu: au moins sauve-toi, si tu ne peux me sauver; que je sache tes jours hors de danger, et je recevrai le coup de la mort sans regret. Il approche, répond Chariclée, le moment critique: mon sort est dans la balance du destin[66]. En même-tems elle tire d'une petite besace, qu'elle porte avec elle, sa robe de prêtresse apportée de Delphes, et s'en revêt. Cette robe est un tissu brillant d'or et de pourpre; sa chevelure flotte sur ses épaules; elle semble remplie de l'esprit de quelque divinité: elle court, s'élance sur le gril, y reste quelque tems, sans ressentir aucune douleur. Exposée ainsi aux regards de cette multitude, sa beauté n'en paroît que plus éblouissante: on la prendroit pour l'image d'une déesse, plutôt que pour une mortelle. Tous les spectateurs sont frappés d'étonnement. Un bruit sourd et confus, expression de la surprise, se fait entendre. Les uns voient avec admiration tant de pureté jointe à tant de charmes; les autres sont fâchés qu'elle soit sans tache. Quoique religieux, ils la verroient avec plaisir sauver sa vie par quelque artifice: Persine sur-tout est pénétrée de douleur. Fille malheureuse, dit-elle à Hydaspe, fille infortunée, qui s'enorgueillit encore de ce qui la perd, et qui va descendre dans le tombeau au bruit des éloges prodigués à la sublimité de sa vertu! Mais qu'arriveroit-il....? Vos instances, répond Hydaspe, sont vaines; votre compassion est inutile. Elle ne peut échapper; il semble que, depuis long-tems, les dieux eux-mêmes se la réservent, à cause de l'excellence de sa vertu. S'adressant ensuite aux Gymnosophistes: Pourquoi donc, leur dit-il, puisque tout est préparé, ne commencez-vous pas le sacrifice? Hélas! lui répond Sisimithrès en grec, pour ne point être entendu de la multitude, nos regards jusqu'ici et nos oreilles n'ont été que trop souillés; nous allons nous retirer dans le temple, pour ne pas être témoins de cet horrible sacrifice, que nous n'approuvons point, que nous ne croyons point agréable aux dieux. Nous voudrions empêcher d'immoler même des animaux, persuadés que les prières et l'encens suffisent pour appaiser le Ciel. Mais vous, demeurez. Vous ne pouvez douter que la présence du roi ne soit nécessaire pour contenir la fougue de la multitude. Achevez ce sacrifice impie, que les antiques lois de l'Ethiopie rendent indispensable; mais prenez garde d'avoir besoin, par la suite, d'expiation; car je ne crois pas qu'il s'achève. Je ne puis douter que le Ciel ne protège ces jeunes gens. Cette brillante lumière qui les environne, m'annonce que quelque dieu veille sur eux. En achevant ces mots, il se lève avec les autres Sages, et se dispose à se retirer. Cependant Chariclée descend de dessus le foyer, et va se jeter aux pieds de Sisimithrès. Ses gardiens, persuadés qu'elle va le conjurer de la soustraire au glaive, veulent la retenir, mais inutilement. O le plus sage des hommes! dit-elle, arrêtez; j'ai un différend à vider avec le roi et la reine: vous seuls, dit-on, êtes juges dans de pareilles causes. Prononcez donc ici; il s'agit de ma vie. Vous allez voir que je ne puis, que je ne dois pas être immolée. Les Gymnosophistes se rendent avec joie à sa