jeunesse, cette beauté si éblouissante, vont expirer sous le couteau sacré. O dieux! protégez-nous; pardonnez-moi les paroles funestes, qu'un intérêt aussi cher auroit pu me faire prononcer: c'est mon sang que je vais répandre. En achevant ces mots, il saisit Chariclée, et feint de la conduire aux autels. Mais la nature lui parle; sa voix retentit fortement au fond de son cœur: il craint lui-même que la multitude n'ait pas compris le sens de son discours, et qu'elle ne lui laisse achever le sacrifice. L'assemblée est émue; le peuple ne peut soutenir le spectacle de Chariclée emmenée aux autels. Tous s'écrient d'une voix unanime: Sauvez votre fille; épargnez votre sang: sauvez celle que les dieux ont sauvée. Nous sommes contens; la loi de nos pères est accomplie. Nous reconnoissons dans vous un roi reconnaissez- y un père: les dieux nous pardonneront. Ce seroit nous rendre coupables que de nous opposer à leurs desseins. Respectons une vie qu'ils ont conservée. O vous! le père de votre peuple, soyez aussi le père de vos enfans! Telles sont les paroles, et d'autres semblables, qui, de tous côtés, viennent frapper les oreilles du roi. On retient Chariclée: on menace d'employer la force; on demande que l'on appaise les dieux par d'autres sacrifices. Hydaspe se laisse fléchir: cette violence avoit trop de charmes, pour qu'il opposât une plus longue résistance. Il cède donc aux transports de cette multitude, qui, par des cris et des acclamations redoublés, s'abandonne aux éclats de la joie la plus excessive, et se rassasie du plaisir d'applaudir. Il attend que le calme se rétablisse de lui-même. Il s'approche alors plus près de Chariclée: Ma fille, lui dit-il, les signes de reconnoissance que vous portez, le témoignage du sage Sisimithrès, la faveur des dieux sur-tout, tout annonce que vous êtes ma fille. Mais quel est ce jeune homme pris avec vous, réservé avec vous pour être immolé, actuellement auprès des autels, où il attend le coup fatal? Pourquoi l'appeliez-vous votre frère, quand vous fûtes amenés tous deux à Syène? Sans doute que nous ne trouverons pas un fils en lui. Persine n'a été mère qu'une fois. Chariclée rougit, baisse les yeux: J'ai feint qu'il étoit mon frère, dit-elle, mais par nécessité. Comme il est homme, il dira mieux que moi quel il est; il craindra moins que moi de s'expliquer. Hydaspe ne comprend point le sens de cette réponse. Pardonne-moi, ma fille, lui répond-il, si ma demande indiscrète a blessé ta pudeur et fait rougir ta vertu. Va dans cette tente auprès de ta mère; dédommage-la aujourd'hui de ce qu'elle souffrit à ta naissance; qu'elle jouisse du plaisir de te voir: console-la par le récit de tes aventures. Je vais m'occuper du sacrifice, chercher une jeune fille qui puisse te remplacer, pour l'immoler avec ce jeune homme. Un gémissement s'échappe du sein de Chariclée. L'annonce de la mort de Théagènes lui pénètre l'ame. Quoique la vivacité de son amour ne soit guère capable des ménagemens que demandent les circonstances, cependant la nécessité la contraint de se faire violence; et, pour arriver à son but: O mon maître, dit-elle, vous n'avez pas besoin de chercher de jeune fille: le peuple aujourd'hui fait grâce à mon sexe; mais s'il demande une victime de chaque sexe, il vous faut non-seulement chercher une jeune fille, mais encore un jeune homme, ou ne chercher ni l'un ni l'autre, mais m'immoler moi-même. Que dis-tu, reprend Hydaspe? que signifie ce langage? Ma