destinée, réplique Chariclée, est de vivre et de mourir avec ce jeune homme. Hydaspe, ne comprenant encore rien à ces paroles: Ma fille, lui dit-il, je loue la bonté de ton cœur. La pitié te parle en faveur d'un jeune Grec de ton âge, prisonnier avec toi, dont tu t'es fait un ami dans tes longs voyages. Tu veux sauver ses jours; mais tu ne peux le dérober au trépas. D'ailleurs, ce seroit un sacrilège d'enfreindre tout-à-fait la loi de nos pères, et de n'immoler aucune victime: le peuple lui-même ne le souffriroit pas; ce n'est que par une faveur spéciale des dieux qu'il a consenti à te laisser la vie. Prince, répond Chariclée, (car je ne sais si je puis encore vous appeler mon père) si la faveur des dieux a sauvé mon corps, cette même faveur devroit bien aussi sauver mon ame; ils savent quelle est mon ame; puisque eux-mêmes l'ont ainsi ordonné; mais si le destin s'y oppose absolument; s'il faut que le sang de ce jeune étranger soit répandu, accordez-moi une grâce; laissez-moi frapper la victime; laissez-moi, le fer à la main, signaler mon courage aux yeux des Ethiopiens. Hydaspe s'étonne à ces paroles. Je ne puis comprendre, dit-il, l'étrange changement qui vient de s'opérer dans ton ame. Tout à l'heure tu voulois sauver cet étranger, à présent tu veux lui ôter la vie de ta propre main, comme s'il étoit ton ennemi; mais je ne vois dans cette action rien de grand, rien d'illustre ni pour ton sexe, ni pour ton âge. Mais il y a encore un autre obstacle insurmontable. Les lois de nos ancêtres ne permettent qu'aux prêtres d'immoler les victimes destinées au Soleil et à la Lune; tous même n'ont pas ce droit indistinctement. Une femme seule peut immoler les victimes destinées au Soleil, et une femme mariée, celles qui sont destinées à la Lune. Comme vierge, tu ne peux obtenir une demande aussi extraordinaire. Ceci n'est pas un obstacle, dit Chariclée à la reine, en lui parlant à l'oreille. Il est un homme qui peut le lever, si vous y consentez. Sans doute, répond la reine en souriant, nous y consentirons; nous te marierons bientôt; nous te choisirons, avec l'aide des dieux, un époux digne de toi et de nous. Il n'est pas besoin d'en choisir un, réplique Chariclée: j'en ai un. Elle alloit tout révéler; le moment critique, le danger que courent les jours de Théagènes, alloient lui faire franchir les bornes de la pudeur; mais Hydaspe, hors de lui-même, s'écrie: Dieux! toujours quelque amertume est mêlée à vos faveurs; c'est ainsi que vous altérez aujourd'hui la douceur d'un bienfait si inespéré. Vous me rendez une fille que je n'espérois plus revoir; mais vous me la rendez presque folle; car n'y a-t-il pas de folie à dire des choses si peu d'accord entr'elles? Elle appelle son frère, un jeune homme, qui ne l'est point. Je lui demande quel est ce frère, cet étranger; elle me dit qu'elle ne le connoît point; et cet étranger, qu'elle ne connoît point, elle veut le sauver comme son ami: ne pouvant le sauver, elle veut l'immoler elle-même comme son plus cruel ennemi. Je lui représente qu'elle ne le peut, que c'est un droit réservé exclusivement à une femme qui a un époux: elle répond qu'elle en a un, et ne le fait point connoître; mais comment en auroit elle? l'épreuve du foyer ne démontre- t-elle pas que jamais elle n'a eu commerce avec aucun homme? Cette épreuve peut- être, infaillible pour les Ethiopiennes, ne l'est point pour elle. Quoiqu'elle n'ait point senti les atteintes de la flamme, peut-être ne se glorifie-t-elle que d'une fausse vertu; peut-être elle seule, peut-elle mettre en même-tems les mêmes personnes au nombre de ses amis et de ses ennemis; se donner pour frères et pour époux, ceux qui ne le sont pas. Princesse, dit-il en s'adressant à la reine, entrez sous cette tente, rappelez