et y obéit à l'instant. A la vue de cet animal, la multitude est frappée d'étonnement. Il emprunte son nom de sa forme, et le peuple l'appelle caméléopardalis, (une giraffe.) Cependant il s'élève un tumulte affreux au milieu de l'assemblée. Auprès de l'autel de la Lune, étoient deux taureaux; auprès de celui du Soleil, quatre chevaux blancs destinés à être immolés. La présence de cet animal extraordinaire et inconnu, les trouble et les effraye. Un des taureaux, le seul, sans doute, qui eût apperçu l'animal, et deux chevaux brisent leurs liens, et se mettent à courir avec une vîtesse incroyable; mais ils ne peuvent sortir de l'enceinte: les soldats, disposés en cercle, couverts de leurs boucliers, forment une barrière impénétrable. Ils courent donc au hasard dans l'enceinte, tournent dans toute son étendue, et renversent tout ce qu'ils rencontrent. Alors des cris confus s'élèvent dans l'assemblée; les uns, voyant ces animaux approcher d'eux, sont effrayés; les autres éclatent de rire de voir les hommes à leur approche tomber, se renverser, se fouler les uns les autres. Chariclée et Persine, inquiètes, soulèvent la toile de la tente où elles sont, pour voir ce qui se passe. Théagènes alors, ou emporté par son courage naturel, ou poussé par quelque divinité, voyant ses gardiens dispersés de côté et d'autre, se lève tout-à-coup. Il étoit au pied de l'autel, un genou en terre, attendant le coup fatal. Il saisit une branche sur l'autel, prend un des chevaux qui ne s'étoient point enfuis, s'élance sur son dos, empoigne ses crins, s'en sert comme d'un frein pour le guider, et l'aiguillonne avec ses talons: la branche lui tient lieu de fouet. Il court après le taureau qui a pris la fuite. Les spectateurs croient d'abord qu'il veut se sauver. Ils s'exhortent l'un l'autre, par de grands cris, à lui fermer le passage; mais ils s'apperçoivent bientôt que ce n'est point par crainte de la mort, et qu'il ne cherche point à s'y soustraire. Il atteint le taureau, le chasse devant lui, le frappe pour lui faire précipiter sa marche. Monté sur le cheval, il ne s'éloigne point de l'animal, le suit dans tous ses tours et détours; enfin, il l'accoutume à le voir et à se laisser conduire. Déjà il marche à ses côtés; les flancs du cheval pressent les flancs du taureau: l'haleine et la sueur des deux animaux se confondent; enfin, tel est l'accord de leurs pas, que, de loin, on croiroit que les deux têtes sont sur le même col. La multitude, voyant ces deux animaux marcher ainsi de front, comble Théagènes de louanges, et l'élève jusqu'au ciel. Cependant Chariclée, qui ne pénètre point les desseins de Théagènes, est dans les transes les plus cruelles: elle craint qu'il ne lui arrive quelque malheur. Une blessure faite à Théagènes, seroit pour elle le coup de la mort. Persine voit son trouble: Ma fille, lui dit-elle, quelle est cette inquiétude? vous semblez partager les dangers de cet étranger. Il est vrai que moi-même je me sens émue; sa jeunesse me touche; je désire qu'il échappe au danger, et qu'il soit ramené au pied des autels, pour satisfaire aux devoirs de la religion. Les plaisans vœux que vous faites, lui répond Chariclée! désirer qu'il ne meure pas, afin qu'il meure! O ma mère! si vous le pouvez, conservez les jours de cet infortuné. Persine, sans pénétrer le vrai sens de ces paroles, y voit cependant le langage de l'amour. Il est impossible, répond Persine, de le sauver; mais quels liens t'attachent à lui? qu'as-tu de commun avec lui? d'où vient un intérêt si vif? Ne crains rien, c'est à ta mère que tu parles. Si ton jeune cœur est en proie à quelque