passion désavouée par la vertu, la tendresse maternelle saura cacher la faute de sa fille, faute dans laquelle tombent toutes les personnes de notre sexe. Les larmes coulent des yeux de Chariclée. Ce qui redouble mes maux, dit-elle, c'est que personne ne m'entend. Je parle de ce que je souffre, et j'en parle à des sourds. Je me vois réduite à la nécessité de m'accuser moi-même, sans détour et sans feinte. Ainsi parle Chariclée. Elle alloit découvrir le fond de son ame, mais des cris poussés par la multitude l'en empêchent. Théagènes pousse le cheval avec rapidité, de manière que son poitrail soit de niveau avec la tête du taureau. Alors il s'élance de dessus le cheval sur le col du taureau, appuie son visage entre ses deux cornes, embrasse sa tête de ses deux mains, entrelace ses doigts sur son front, et laisse pendre le reste de son corps le long de son côté droit. Le taureau le porte ainsi suspendu, et l'agite par des secousses violentes. Théagènes le voit fatigué du fardeau, sent que ses muscles perdent leur force. Au moment où il passe devant Hydaspe, il se met devant l'animal, entrelace ses jambes dans celles du taureau, les frappe continuellement, et l'empêche ainsi de marcher. L'animal ne peut plus avancer; il est accablé du poids qu'il traîne; il chancèle, tombe sur la tête, se renverse sur le dos, et reste ainsi étendu. Ses cornes enfoncées dans terre, tiennent sa tête immobile; ses jambes s'agitent vainement et frappent l'air; leur foiblesse atteste la victoire de Théagènes. Celui-ci tient le taureau dans cet état de la main gauche, lève l'autre au ciel, l'agita sans cesse, porte des regards de satisfaction sur Hydaspe et l'assemblée, et, par son sourire, invite tout le monde à la joie. Les mugissemens du taureau proclament sa défaite[71]. Le peuple y répond par des cris confus, mal articulés. La bouche béante, il exprime, par des sons uniformes et prolongés, son admiration et sa surprise. Des esclaves, par ordre d'Hydaspe, accourent. Les uns emmènent Théagènes; les autres passent une corde autour des cornes du taureau, le conduisent, baissant la tête, au pied de l'autel, où ils l'attachent avec le cheval. Hydaspe veut parler à Théagènes, et lui faire quelques questions. Mais le peuple, qui avoit commencé à s'intéresser à lui, dès qu'il l'avoit vu, charmé de son courage, étonné de sa force, encore plus jaloux de l'athlète de Méroëbe, s'écrie d'une voix unanime il faut le mettre aux prises avec l'homme de Méroëbe; que celui qui a reçu l'éléphant se mesure contre celui qui a terrassé le taureau. Vaincu par leurs cris réitérés, Hydaspe y consent. L'Ethiopien paroît au milieu de l'assemblée, promenant autour de lui des regards fiers et terribles, marchant à grands pas, déployant sa taille énorme, et se frappant les bras avec grand bruit. Lorsqu'il est près du trône, Hydaspe, regardant Théagènes: Etranger, lui dit-il, il faut que vous vous mesuriez contre cet adversaire; ainsi le veut l'assemblée.—Elle sera satisfaite; mais comment faut-il combattre?—A la lutte.—Pourquoi pas le fer à la main, armé de toutes pièces? Peut-être je pourrois, par ma victoire ou par ma défaite, satisfaire Chariclée, qui s'obstine à garder le silence, et qui semble m'avoir absolument abandonné.—J'ignore ce que Chariclée fait ici; mais il faut combattre, non le fer à la main, mais à la lutte. C'est un crime de répandre du sang avant le sacrifice. Théagènes, comprenant qu'Hydaspe craint qu'il ne soit tué: Je vous entends,