dit-il, vous me réservez pour être immolé aux dieux; mais ces dieux sauront bien me conserver la vie. En même-tems il prend de la poussière, la répand sur ses bras et ses épaules encore fumant de sueur, et se secoue ensuite. Il allonge les deux mains, s'affermit sur ses pieds, se rappetisse, courbe le dos et les épaules, baisse un peu la tête; enfin se rétrécit tout le corps, et attend son ennemi de pied ferme. L'Ethiopien, à sa vue, l'insulte par un sourire de dédain, l'outrage par ses gestes, et ne témoigne que du mépris pour un tel adversaire. Il se précipite tout-à-coup vers lui, lève le bras, qui, comme une poutre énorme, tombe sur le col de Théagènes. Le coup retentit au loin. Le barbare s'applaudit par de grands éclats de rire. Théagènes, exercé à ces sortes de combats, et possédant parfaitement l'art de la lutte, prend le parti de reculer d'abord devant son ennemi, dont il venoit d'éprouver la force extraordinaire. Il a recours à l'adresse contre un antagoniste aussi terrible, et dont la férocité égale celle des bêtes sauvages. Quoiqu'à peine ébranlé du coup, il feint d'avoir plus de mal qu'il n'en a en effet. Il présente l'autre côté de la tête aux attaques. L'Ethiopien redouble: Théagènes chancèle, et fait semblant de tomber le visage contre terre. L'Ethiopien le voit, s'anime, se prépare à porter un troisième coup, sans aucune précaution. Déjà il a allongé le bras et est prêt de frapper. Théagènes se baisse, évite le coup, s'élance contre lui, écarte avec son bras droit, le bras gauche de son adversaire: celui-ci est entraîné par le poids de son bras, qui ne frappe que l'air. Théagènes se glisse dessous son aisselle, le prend par derrière, embrasse avec peine son ventre épais, entrelace ses pieds dans ses pieds, ses jambes dans ses jambes, l'oblige à s'agenouiller, le serre au défaut des côtes, lui presse les articulations, lui saisit la tête, le tire en arrière, et lui fait mesurer la terre. Un cri plus fort que ceux qu'on avoit encore entendus, s'élève de toutes parts. Le roi n'est pas maître de lui-même; il s'élance de son trône: cruelle nécessité! s'écrie-t-il; quel homme les lois nous ordonnent d'immoler! Il appelle Théagènes: Jeune héros, dit-il, prêt à être immolé, vous devez, suivant l'usage, être couronné. Vous méritez sans doute de l'être, pour une victoire aussi glorieuse; mais, hélas! c'est en vain que vous avez vaincu. Je ne puis vous arracher au trépas, quand je le voudrois. Je vous accorderai tout ce qui est en mon pouvoir; demandez ce que vous désirez, avant que de descendre au tombeau. En même-tems, il lui met sur la tête une couronne d'or enrichie de diamans, et il la lui met en pleurant. Eh bien! lui dit Théagènes, je vais vous le demander, c'est à vous de tenir votre promesse: Puisque rien ne peut me soustraire à la mort, accordez-moi de mourir de la main de celle que vous venez de reconnoître pour votre fille. Hydaspe, étonné, se rappelle que Chariclée lui a fait une pareille demande; mais il ne croit pas devoir y réfléchir long-tems. Etranger, lui dit- il, je ne vous ai permis de demander, comme je n'ai promis de vous accorder, que des choses possibles. La loi veut que vous mourriez de la main d'une femme qui ait un mari, et non de la main d'une vierge. Eh bien! répond Théagènes, elle en a un. Vos discours, réplique Hydaspe, sont ceux d'un homme en délire, et qui voit le tombeau ouvert sous ses pas. L'épreuve du foyer nous a démontré que Chariclée est vierge, qu'elle n'a point encore goûté les plaisirs de l'amour, à moins que vous ne vouliez