du bord de son manteau fait comme un lien, qu'il passe au col de Théagènes, et le traîne, en criant de toutes ses forces: Je te tiens, scélérat! je te tiens, sacrilège! Les gardes font des efforts inutiles pour l'arrêter et lui arracher Théagènes. Il le serre, l'embrasse étroitement, et vient à bout de le conduire devant Hydaspe. Prince, dit-il, voilà celui qui m'a ravi ma fille, celui qui a porté la désolation chez moi, qui a enlevé, du milieu du temple de Delphes, celle qui faisoit toute ma joie: je le trouve aujourd'hui au pied des autels, comme s'il étoit pur et sans tache. Toute l'assemblée est émue des paroles du vieillard, qui sont une énigme pour elle: son action cause le plus grand étonnement. Hydaspe le prie de s'expliquer plus clairement. Ce vieillard étoit Chariclès: il cachoit la véritable naissance de Chariclée, dans la crainte que, dans son exil, ayant manqué aux lois de la pudeur, elle ne lui fit des ennemis de ses véritables parens. Il raconte d'abord succinctement tout ce qui ne peut lui nuire. Prince, j'avois une fille, dont la beauté et la vertu pourroient attester ce que je dis. Elle étoit vierge, prêtresse de Diane à Delphes. Ce beau Thessalien est venu à Delphes, pour offrir un sacrifice solennel, à la tête d'une théorie; il a enlevé, pendant la nuit, ma fille du milieu du temple et du sanctuaire d'Apollon; il a outragé le dieu de vos pères, Apollon, le même que le Soleil, et il doit être réputé coupable de sacrilège, même envers vous. Un faux-prêtre de Memphis lui prêta son ministère pour commettre ce forfait. J'ai été en Thessalie; j'ai demandé vengeance à ses concitoyens: ils l'ont abandonné à ma discrétion, comme un scélérat et un impie. Conjecturant qu'il s'étoit enfui à Memphis, patrie de Calasiris, j'y ai passé. J'ai trouvé Calasiris mort, digne châtiment de sa perfidie. Thyamis, son fils, m'a appris ce qu'étoit devenue ma fille; il m'a dit qu'elle avoit été envoyée à Syène vers Oroondates. Je n'ai pu me rendre à Syène, ni auprès d'Oroondates: j'ai été fait prisonnier à Eléphantine. Vous me voyez devant vous, suppliant et cherchant ma fille. Ayez pitié d'un père malheureux; consultez votre cœur; souvenez-vous que c'est Oroondates lui- même qui vous parle en ma faveur. A ces mots il se tait, et ses larmes coulent en abondance. Hydaspe, s'adressant alors à Théagènes: Que répondez-vous, lui dit-il?—Tout ce que cet homme dit est vrai. Oui, je suis coupable envers lui de rapt et de violence; mais je suis votre bienfaiteur.—Rendez-lui donc un bien qui ne vous appartient pas. Votre vie est dévouée aux dieux; vous devez être immolé comme une victime pure et sans tache, et non comme un coupable frappé du glaive de la justice.—Le châtiment doit retomber, non sur celui qui a commis le crime, mais sur celui qui en profite. Or, c'est vous qui en profitez; rendez-la donc vous-même, à moins qu'il ne la reconnoisse aussi pour votre fille. Cette scène met tous les spectateurs hors d'eux-mêmes. Sisimithrès, après quelques momens de réflexion, se rappelle son entrevue avec Chariclès. Il attendoit que la divinité répandît quelques lumières sur toute cette affaire. Il court vers Chariclès, l'embrasse: Celle que vous regardez comme votre fille, lui dit-il, celle que je vous remis autrefois entre les mains, vit encore: elle est reconnue des auteurs de ses jours. Chariclée sort de la tente: elle oublie la timidité et la pudeur si naturelles à son sexe et à son âge. Transportée hors d'elle-même, elle se jette aux pieds de Chariclès: O