mon père! lui dit-elle, ô vous que je ne respecte pas moins que ceux qui m'ont donné le jour, traitez-moi comme vous voudrez; je suis criminelle, parricide; n'examinez pas si je n'ai fait que suivre la volonté des dieux, si je n'ai fait qu'obéir à leurs inspirations. Persine, d'un autre côté, embrasse Hydaspe: Oui, prince, lui dit-elle, croyez que tout est ainsi; sachez que ce jeune Grec est l'amant de notre fille. Chariclée venoit de lui révéler, quoique avec beaucoup de peine, le secret de son amour. Le peuple fait éclater sa joie par des cris et des danses. Les hommes de tout âge et de toute condition célèbrent cet évènement par leurs transports: ils n'entendent pas ce qui se dit, mais ils en jugent par ce qui est arrivé à Chariclée. Eclairés peut-être par quelque divinité, qui s'étoit plue à ménager ce dénouement, ils soupçonnent la vérité. On voit au milieu de cette assemblée les contrastes les plus frappans. On voit éclater la joie et la douleur, les ris se mêler aux sanglots; la plus affreuse situation se change en fête; on voit dans la joie et l'alégresse ceux qui étoient dans la douleur et le désespoir. Les uns trouvent ce qu'ils ne cherchoient point; les autres perdent, sans espérance, ce qu'ils espéraient trouver. On s'attendoit à voir le sang couler sur les autels, et on n'y offre que des victimes pures et innocentes. O le plus sage des hommes, dit Hydaspe à Sisimithrès, que faut-il faire? Ne pas immoler des victimes aux dieux est une impiété. Leur immoler des personnes, dont l'arrivée ici est un de leurs bienfaits, en est une autre aussi criante. Prince, lui répond Sisimithrès en langue éthiopienne, pour être entendu de tout le monde, une joie excessive obscurcit les lumières des hommes les plus sages. Depuis long-tems vous deviez comprendre que les dieux n'agréent point de pareils sacrifices. C'est au pied même des autels, c'est sous le couteau sacré qu'ils vous font reconnoître Chariclée pour votre fille. Du milieu de la Grèce, ils ont amené ici, comme par miracle, celui qui l'a élevée: ce sont eux qui ont effrayé ces chevaux, ces taureaux qui ont suscité ce tumulte. Ils veulent nous faire entendre qu'il ne faut leur présenter que des sacrifices dignes d'eux. Pour mettre le comble à leurs bienfaits, ils vous amènent dans ce jeune Grec, l'époux de votre fille, comme un flambeau dont la lumière doit éclairer le dénouement de cette grande pièce. Ne fermons pas les yeux sur les merveilles de la Divinité; secondons ses desseins: abolissons pour jamais la coutume d'immoler des hommes. Sisimithrès prononce ces mots d'une voix claire et haute, pour être entendu de tout le monde. Hydaspe, qui savoit la langue vulgaire, prenant Théagènes et Chariclée: Vous tous, dit-il, qui êtes ici présens, nous ne pouvons nous empêcher de reconnoître l'influence des dieux dans tout ce que nous venons de voir. Leur résister est un crime: en présence des dieux, dont tout ceci est l'ouvrage, en présence de vous tous, qui vous montrez si dociles aux volontés du ciel, j'unis ces deux amans par les liens de l'hymen. Puisse-t-il naître d'eux des enfans qui les resserrent encore! Mais, occupons-nous des devoirs de la religion, et sanctifions cette alliance par des sacrifices. Tous les spectateurs applaudissent; des acclamations se font entendre de tous côtés en signe d'approbation. Hydaspe s'approche de l'autel, et avant de commencer le sacrifice: Soleil s'écrie-t-il, et toi Lune, divinités protectrices de cet empire, s'il est