Quelque magnifique, quelque brillant que soit ce cortège, l'œil des spectateurs le dédaigne pour s'arrêter sur le chef. C'étoit Théagènes, dont le sort me cause aujourd'hui tant d'inquiétude: il paroît comme un astre dont les feux éclipsent tout ce qui brilloit ayant qu'il se montrât. Cavalier et fantassin en même-tems, il agite dans sa main une lance pesante garnie d'un large fer; il marche sans casque, la tête nue, revêtu d'une robe de pourpre, sur laquelle, entre autres évènemens, on voit représenté en or le combat des Centaures contre les Lapithes: on voit sur son agraffe Pallas, dont le sein est couvert de l'égide avec la tête de la Gorgone. Ce qui lui donne encore de nouvelles graces, c'est un vent léger dont la faible haleine agite mollement sa chevelure sur ses épaules, partage sur son front les boucles de ses cheveux; et fait flotter les extrémités de sa robe jusque sur la croupe et les cuisses de son coursier: on diroit que l'animal lui-même, sensible à l'éclat qui l'environne, l'est encore à la gloire d'être guidé par un maître si beau; il se rengorge, porte la tête droite; dans ses yeux, dans sa démarche, est peint l'orgueil que lui inspire un tel fardeau: docile au frein, il avance lentement, se balançant majestueusement à droite, à gauche, appuyant légèrement le bout du pied à terre, et réglant ses pas de manière à ne point trop agiter son maître. Tous les spectateurs sont ravis d'admiration, tous d'une voix unanime décernent à Théagènes le prix de la beauté et du courage. Déjà toutes les courtisannes, éprises pour lui d'une passion violente qu'elles ne peuvent déguiser, sèment des fleurs et des fruits sur son passage,[17] dans l'espérance de s'attirer un de ses regards: toutes décident que jamais on n'a rien vu de plus beau que Théagènes. Quand la fille de l'air, l'Aurore aux doigts de rose, s'éleva sur l'horison, pour parler le langage d'Homère; quand la belle, la vertueuse Chariclée, sortie du temple de Diane, parut, nous fumes alors convaincus que la beauté de Théagènes pouvoit être surpassée, mais aux yeux des hommes, qui trouvent dans les grâces et les appas d'une femme quelque chose de plus séduisant. Elle s'avance montée sur un char traîné par deux taureaux blancs; un manteau de pourpre, parsemé de fleurs d'or en forme de rayons, descend jusque sur ses pieds; autour de son sein est une ceinture sur laquelle l'ouvrier a épuisé tous les secrets de son art: jamais auparavant il n'en avoit fait de pareille, et jamais il n'en fit dans la suite. On voit par derrière des queues de serpens s'entrelacer l'une dans l'autre; leurs cols, revenant par dessus son sein, forment un nœud tortueux duquel sortent leurs têtes qui pendent de chaque côté, et semblent partir du milieu du nœud: tels sont les prestiges de l'art, qu'on diroit qu'ils se traînent; la cruauté n'est point peinte dans leurs regards; ils n'inspirent point la frayeur; ils semblent plongés dans un doux sommeil; on diroit que le plaisir les a endormis sur le sein de Chariclée. Ils sont travaillés en or, de couleur bleue et avec tant d'art, que ce métal a pris, sous la main de l'ouvrier, une couleur foncée qui, contrastant avec le jaune, représente au naturel la teinte mobile et luisante des écailles de ces serpens. Telle est la ceinture de Chariclée. Une partie de sa chevelure est tressée, tandis que l'autre flotte avec grâce sur son col et sur ses épaules; une couronne, formée de branches de laurier, arrête sur sa tête et écarte ses cheveux de son visage, aussi frais que la rose, aussi éclatant que le soleil, et les empêche de voltiger de côté et d'autre au gré du vent. Dans sa main gauche est un arc. Le long de son épaule droite descend