un carquois. Dans sa main droite est une torche ardente, dont les flammes ne jettent pas un éclat aussi vif que celui de ses yeux. Les voilà, s'écrie Cnémon! je reconnois Théagènes et Chariclée, ce sont eux-mêmes. Montrez-les moi, au nom des dieux, je vous en supplie, lui dit Calasiris, qui croyoit que Cnémon les voyoit en effet.—O mon père! vous m'avez dépeint avec des traits si vrais des personnes que j'ai vues, que je connois, que, malgré leur absence, je croyois les voir.—Je ne sais si vous avez jamais vu des personnes telles que la Grèce et le soleil en virent alors, des personnes aussi regardées, aussi applaudies; l'une réunissant les suffrages de tous les hommes; l'autre ceux de toutes les femmes: le bonheur d'épouser l'un des deux, égaloit à leurs yeux celui des immortels: Théagènes, sur-tout, étoit regardé des habitans du pays, et Chariclée des Thessaliens. L'admiration des uns et des autres se fixoit sur celui qu'ils ne connoissoient point; car un objet inconnu attire davantage notre attention. Douce erreur! séduisante pensée! ô Cnémon, dans quel transport j'étois! je pensois que vous alliez me les montrer; hélas! que vous m'avez cruellement trompé! Au commencement de notre entretien, je pensois qu'ils alloient arriver, que bientôt je les verrais; vous ne m'avez même demandé le récit de leurs aventures, que comme le prix d'un pareil bienfait. Le soleil est couché, la nuit est arrivée, et vous ne me les montrez point encore! Ne vous désespérez point, reprit Cnémon; soyez persuadé qu'ils arriveront: peut-être ont-ils trouvé quelque obstacle, qui les empêche de se rendre à tems au lieu fixé. D'ailleurs, fussent-ils présens, je ne vous les ferois pas connoître avant que vous vous fussiez entièrement acquitté envers moi. Remplissez donc vos engagemens, si vous avez tant d'impatience de les voir. Ce n'est qu'avec le sentiment de la plus profonde douleur, reprit Calasiris, que je me rappelle des évènemens aussi tristes. Je craignois d'ailleurs de vous ennuyer par des détails aussi longs; mais puisque vous êtes avide de choses touchantes, je vais reprendre le fil de ma narration. Allumons d'abord un flambeau; faisons des libations aux dieux qui président à la nuit; acquittons-nous envers la divinité, afin que rien ne vienne troubler le plaisir de notre entretien. Ainsi parla Calasiris. Par son ordre, une esclave apporte un flambeau; le vieillard fait des libations; il invoque les dieux et sur-tout Mercure; il les prie de ne lui envoyer que des songes agréables; de lui montrer au moins pendant le sommeil, les objets les plus chers à son cœur. Il continue ainsi son récit. Lorsque le cortège a trois fois fait le tour du tombeau, et que les cavaliers l'ont parcouru trois fois, on entend les gémissemens des femmes mêlés aux cris confus des hommes. Toutes les victimes, les taureaux, les béliers, les agneaux, comme frappées du même coup, tombent sous le couteau sacré. Un vaste autel est chargé d'une grande quantité de bois, sur lequel on met, suivant l'usage, les extrémités des victimes. On prie le grand-prêtre de commencer les libations et de mettre le feu au bûcher. Je dois, il est vrai, dit Chariclès, faire des libations; mais il faut que le chef de la théorie prenne un flambeau de la main de la prêtresse de Diane, et allume le bûcher; ainsi l'ordonnent les lois établies parmi nous: en même-tems il commence les libations, et Théagènes va prendre le flambeau.