Étant témoin de ce cri désespéré, prodige croit en la protection des dieux, se refuse à ignorer leur geste secourable et descend alors du bûcher. Habitants de Memphis, submergés par la joie et la stupeur, sont penchés sur l'acclamation démesurée de la puissance divine. Bousculée par l'émoi, Arsace quitte avec précipitation les remparts, sort à l'aide d'une porte secondaire accompagnée de ses gardes et des principaux Perses, et intercepte elle-même Chariclée. Fixant avec un regard terrible cette foule bouleversée, elle s'exclame : "Vous osez donc libérer de son châtiment cette effroyable créature, cette empoisonneuse, prise en flagrant délit et admettant sans honte ses crimes ! Vous êtes donc prêts à défendre cette terrible fureur, vous rebellez-vous contre les lois de la Perse, contre le grand roi lui-même, contre les satrapes, les seigneurs, les juges ! Éblouis par une pitié mal placée, vous pensez en elle reconnaître le pouvoir des dieux ! Ne réalisez-vous pas que ce que vous voyez n'est qu'une preuve supplémentaire de ses méfaits ? Sa magie est telle qu'elle inhibe même le feu. Venez au palais demain ; une audience publique sera tenue pour clarifier les choses : vous l'entendrez admettre elle-même ses crimes, vous la verrez confondue par le témoignage de ses complices que j'ai en ma possession." Pendant ce temps, elle saisit Chariclée par la gorge et la traîne avec elle. Elle ordonne à ses gardes de disperser la foule : le peuple, indigné, résiste, mais finit par se retirer, soupçonnant Chariclée d'être une sorcière, ou craignant Arsace et ses troupes. Chariclée se trouve une fois de plus entre les mains d'Euphrates, plus solidement entravée, destinée à subir de nouveau un jugement et une exécution. Au milieu de ses malheurs, elle savoure le plus doux des plaisirs : celui d'être avec Théagènes, et de lui raconter ce qui vient de se passer. Pour ajouter l'insulte à la blessure, Arsace enferme nos deux amoureux dans la même cellule, pour qu'ils soient témoins de la souffrance de l'autre. Elle sait qu'un amant souffre davantage des douleurs de son bien-aimé que des siennes propres. Pourtant, leur réunion n'est pour eux qu'une source de consolation. Ils se réjouissent d'être soumis aux mêmes douleurs. Si l'un d'eux souffre moins, il se sent vaincu par l'autre, convaincu qu'il aime moins. Ils se réconfortent, se soutiennent, s'encouragent mutuellement à montrer un courage indomptable face à l'adversité, à témoigner de leur amour pour la vertu et de leur fidélité réciproque, par une patience héroïque. Après avoir longuement discuté jusqu'à une heure avancée de la nuit, avoir partagé tout ce que des amants sur le point d'être séparés pour toujours peuvent se dire, après s'être rassasiés l'un de l'autre, ils réfléchissent au miracle qui a arrêté les flammes. Théagènes y voit l'oeuvre des dieux, indignés par les infâmes calomnies d'Arsace, des dieux défendant la vertu et l'innocence opprimées. Chariclée semble en douter. L'étrange phénomène qui m'a sauvée, dit-elle, ne peut être que l'oeuvre des dieux ; mais éprouver toujours le même malheur, et même de plus en plus cruel, ne révèle-t-il pas dans ces dieux une colère et une haine implacables ? À moins qu'ils ne souhaitent, pour faire étalage de leur puissance de manière extraordinaire, nous précipiter dans quelque abîme, et nous sauver au moment où nous l'espérons le moins.