Bagoas s'exprime alors, luttant avec un grec balbutiant, langue qui lui est encore largement étrangère. Il est porté par un bonheur sans égale. Il avait tant souffert du mépris et de l'autoritarisme d'Arsace. Il encourage maintenant, il console ses prisonniers; et il nourrit l'espoir de voir grandir son influence auprès d'Oroondates, notamment en préservant un jeune homme extraordinaire, supérieur à tous ceux de sa maisonnée, ainsi qu'une jeune fille d'une beauté incomparable, destinée à succéder à Arsace en tant qu'épouse. Les mots de Bagoas ravivent la joie dans le cœur de Chariclée et Théagènes. Ils louent la force et la justice des dieux. En dépit des rudes épreuves qu'ils pourraient encore subir, aucune calamité ne leur fait peur, maintenant que l'odieux Arsace ne les harcèle plus. Ainsi, la vie ne semble pas regrettable lorsqu'on a survécu à ses adversaires. La nuit était proche, l'air devenait plus frais, propice au voyage. Bagoas et ses hommes montèrent à cheval, chevauchèrent toute la nuit et le lendemain matin, en vue d'atteindre Thèbes et de rejoindre Oroondates si cela était possible. Mais leur dépêche fut vaine. Ils croisèrent un messager d'Oroondates, qui leur apprit le départ du Satrape de Thèbes. Il était là pour mobiliser toutes les forces, y compris celles dans les garnisons, et les diriger rapidement vers Syène. Il leur fit savoir que le trouble et la peur se propageaient partout et qu'il y avait un risque que cette ville ne tombe, compte tenu de la lenteur du Satrape et de la rapidité des Éthiopiens, apparus aux portes de Syène avant même que des nouvelles de leur avancée ne soient parvenues. Bagoas abandonna donc la route de Thèbes pour celle de Syène. À une certaine distance de cette ville, ils tombèrent dans une embuscade. Un groupe d'Éthiopiens bien armés avait été dépêché pour assurer leur progression et garantir la sécurité de leur armée. Surpris par la nuit, ignorant la région, éloignés de leurs compatriotes, ces Éthiopiens, pour se protéger eux-mêmes et tendre un piège aux ennemis, prirent position parmi les arbustes, passant la nuit sans sommeil. Au petit jour, ils entendirent Bagoas et ses hommes: ils observèrent les quelques guerriers qui l'accompagnaient, puis les laissèrent passer. Certain qu'il n'était pas suivi par une armée plus grande, ils quittèrent le bord du fleuve, jetèrent des cris stridents et se lancèrent à leur poursuite. Bagoas et sa troupe furent saisis de peur. Ils reconnurent les Éthiopiens à la couleur de leur peau: ils étaient mille, légèrement armés. Trop faibles pour leur résister, les Perses n'osèrent même pas les regarder. D'abord, ils reculèrent doucement, pas à pas, comme pour ne pas montrer qu'ils fuyaient; mais lorsque les Éthiopiens se mirent à les poursuivre, deux-cents d'entre eux se déployèrent. Les Troglodytes, une tribu éthiopienne, sont des nomades voisins de l'Arabie. Leur agilité naturelle est encore renforcée par les exercices auxquels ils sont formés dès l'enfance. Ils n'apprennent jamais à manier des armes lourdes. Dans les batailles, ils s'affrontent à coup-de-fronde, se ruent impétueusement sur les ennemis, puis se dispersent avec la même hâte s'ils rencontrent une forte résistance. Connaissant leur habileté, leurs ennemis évitent de les poursuivre dans les cavernes où ils trouvent refuge.