"Prince", interrompt Sisimithrès, "Percevez-vous l'invocation de votre captive?" Hydaspe se met à rire. "Quel est son sujet de plaidoirie et pourquoi serait-il en relation avec nous ? Quelle affaire pourrait-il y avoir entre nous deux ?" - "Sa prise de parole nous l'éclaircira." - "Ceci ne ressemble pas à un jugement, plutôt à une offense : un roi qui se soumet à la discussion avec sa captive! - "Mais la justice ne fait pas ces distinctions. Il n'y a seul qu'un roi à ses yeux; c'est celui qui a la justice de son côté - "La loi vous rend juge des conflits qui surgissent entre le roi et ses sujets, non pas ceux entre le roi et les étrangers - "Devant les sages, ce qui compte pour la justice ce n’est pas la personne, mais le droit -" On ne peut douter qu'elle est hors de ses esprits : sur le point de voir son existence prendre fin, elle ne cherche qu'à prolonger son heure. Cependant, laissons-la s'exprimer, si Sisimithrès juge cela approprié." Chariclée est emplie d'espoir : elle ne doute pas de sa survie face au danger imminent. Sa joie s'intensifie en entendant le nom de Sisimithrès. C'est lui qui l'avait sauvée lorsqu'elle était abandonnée, qui l'avait confiée à Chariclès, il y a dix ans, lorsqu'il avait été envoyé en mission diplomatique auprès d'Oroondates à Catadupes pour réclamer les mines de diamants. Il faisait alors partie des Gymnosophistes, mais à l'époque actuelle, il était le leader de cette vénérable confrérie. Chariclée, qui n'avait que sept ans lorsqu'elle fut séparée de lui, ne se souvenait pas de ses traits. Toutefois, son nom lui était familier. Elle pense donc qu'elle trouvera en lui des révélations qui éclairciront le mystère de ses origines, et qu'elle pourra être reconnue. Levant les mains vers le ciel, elle dit d'une voix forte pour que tous l'entendent : "Soleil, tu es le père de mes ancêtres. Et vous, dieux, héros, que nous considérons comme nos aïeux, je vous promets que je ne dirai que la vérité. Je vous implore, la justice est de mon côté, Prince, est-ce aux éthiopiens ou aux étrangers que la loi vous ordonne d'immoler ?" - "Aux étrangers." - "Alors, cherchez une autre victime. Vous découvrirez que je suis Éthiopienne, née sur cette terre." Hydaspe, surpris, l'accuse de tromperie. "En effet !", réplique Chariclée, "Vous semblez surpris ! Soyez prêt à encore plus de surprises. Non seulement je suis Éthiopienne, mais je suis étroitement liée à la famille royale." Hydaspe repousse avec dédain ce qu'il considère comme les divagations d'une menteuse. "Oh mon père! cessez d'insulter votre fille", continue Chariclée. Ces mots ne font qu'irriter davantage le roi qui se sent trompé et insulté. "Sisimithrès, voyez-vous ma patience. tenter d'échapper à la mort par une imposture aussi flagrante, n'est-ce pas le summum de la folie ? Elle se présente soudainement, comme sur une scène de théâtre, pour prétendre être ma fille, moi qui n'ai jamais eu la chance d'avoir des enfants. A une seule occasion ai-je appris à la fois de la naissance et de la mort d'un enfant de mon sang. "Qu'on l'emmène et que le sacrifice commence." "Non", crie Chariclée, "Personne ne m'enlèvera avant que ces juges n'aient rendu leur verdict. Ceci n'est pas votre avis, c'est un jugement. La loi peut vous ordonner d'immoler des étrangers, mais ni la loi ni la nature ne permettent à un père d'immoler ses propres enfants. Les dieux vous forceront aujourd'hui à me reconnaitre comme votre fille. Il y a deux sortes de preuves solides devant les tribunaux : l'une provient des écrits, l'autre des témoignages : les deux sont ici en ma faveur. Je n'invoque pas le témoignage d'une personne, mais deux témoins incontestables...