Est-ce donc de moi que vient cet anneau? Seulement, même s'il se trouve maintenant en votre possession, cela ne prouve pas que vous soyez ma fille. La teinte de votre peau semble surtout remettre en doute une ascendance éthiopienne. L'enfant que j'avais alors recueillie était de peau blanche, reprend Sisimithrès, la période où je l'ai trouvé coïncide parfaitement avec son âge actuel. Sevente ans qui exactement couvrent l'intervalle depuis son abandon. Aujourd'hui, je la reconnais à travers son regard, ses traits, sa beauté resplendissante. En elle se révèle tout ce qu'elle laissait présager autrefois. Ces arguments semblent plausibles, réplique Hydaspe, mais ils ont davantage de poids dans la bouche d'un avocat fervent que dans celle d'un juge impartial. Prenez garde qu'en dissipant une confusion, vous n'en créiez une autre préjudiciable à la vertu de la reine, que vous ne pourrez effacer. Comment avons-nous, nous qui sommes tous deux éthiopiens, pu donner naissance à un enfant blanc? Sisimithrès, avec un regard de compassion et un demi-sourire ironique répond: Je ne comprends pas votre insinuation. Vous m'accusez de défendre cette jeune fille, alors que je ne fais que remplir mon devoir. Le vrai juge parmi nous est celui qui incarne la justice. N'est-ce pas vous servir davantage que cette jeune fille, que de vous la faire reconnaître grâce à l'aide divine, comme votre fille, que de défendre celle que j'ai sauvée à sa naissance et qui est aujourd'hui en pleine fleur de l'âge, après avoir bravé tant de dangers? Décidez à votre guise, nous sommes indifférents à l'opinion des hommes : elle ne dicte pas notre conduite. Nous sommes constamment attachés à la justice, à la vertu et nous ne convoitons que l'approbation de notre conscience. Cette bandelette explique toute l'énigme de la couleur de peau de votre fille; Persine s'innocente elle-même. Alors que vous remplissiez envers elle les devoirs de l'époux, son regard s'est posé sur Andromède, dont les traits se sont impressionnés en elle et ont laissé leur empreinte sur l'enfant qu'elle portait. Vous voulez des preuves supplémentaires? Examinez le tableau, considérez l'image d'Andromède et vous verrez une ressemblance saisissante avec cette jeune fille. On apporte immédiatement le tableau d'Andromède, et on le place face à Chariclée: des acclamations retentissent de tous côtés. Dès que chacun saisit ce qui se dit et se fait, ils informent les autres: tout le monde est frappé par la ressemblance. Hydaspe est lui même convaincu; Il reste un moment abasourdi par la surprise et le bonheur. Mais ce n'est pas fini, reprend Sisimithrès, il s'agit ici de la royauté, de la succession au trône, et surtout de la vérité. Montrez votre bras jeune fille : il était marqué d'une tache noire juste au-dessus du coude, apportant un contraste saisissant avec sa blancheur; cette tache affirme vos origines. Chariclée dénude son bras gauche. On y voit une tache noire d'ébène sur une peau aussi blanche que de l'ivoire. La reine ne maîtrise plus son émotion: elle se lève brusquement de son trône, se jette dans les bras de Chariclée, la serre contre elle, l'inonde de larmes. Le plaisir se transforme en agonie de joie, des gémissements sourds échappent de sa poitrine oppressée. Se laissant aller à son plaisir débordant, elle manque de s'effondrer avec Chariclée. À la vue de son épouse en larmes, Hydaspe est attendri: lui aussi est submergé par l'émotion, mais il la regarde d'un œil sec et immobile; il fait des efforts pour retenir ses larmes; une lutte intérieure acharnée le dévore.