Un carquois est à sa portée. Il tient une torche enflammée dans sa main droite, mais ni son éclat ni ses flammes ne sont aussi vifs que ses yeux. "C'est eux !", s'exclame Cnémon, "je les reconnais : Théagènes et Chariclée, c'est bien eux !" "Montrez-les moi, par pitié, je vous en supplie", implore Calasiris qui croit sincèrement que Cnémon est en train de les voir. "Mon père, vous m'avez si fidèlement décrit ces gens que je pense les reconnaitre malgré leur absence". Je ne sais si vous avez jamais vu des personnes telles qu'elles l'étaient alors, si admirées, si applaudies ; l'une aimée de tous les hommes, l'autre de toutes les femmes. Pour beaucoup, la chance d'épouser l'un d'entre eux était comparable au bonheur des dieux. Théagènes était particulièrement bien vu des habitants du pays, tandis que Chariclée plaisait énormément aux Thessaliens. Les gens avaient tendance à admirer celui qu'ils connaissaient le moins, car l'inconnu attire toujours notre attention. Quelle douce erreur, quelle séduisante pensée ! Ô Cnémon, dans quel transport j'étais ! J'ai cru que vous alliez me les montrer. Hélas ! Que vous m'avez cruellement trompé ! Au début de notre conversation, je pensais qu'ils allaient arriver, que je les verrais bientôt. Vous m'avez demandé de vous raconter leurs aventures comme si c'était la condition pour me les montrer. Mais le soleil s'est couché, la nuit est tombée, et je ne les ai toujours pas vus. Mais ne désespérez pas, répond Cnémon. Soyez convaincu qu'ils vont arriver. Peut-être ont-ils rencontré un obstacle qui les empêche de rejoindre le lieu prévu à temps. Quoi qu'il en soit, même s'ils étaient là, je ne vous les présenterais pas avant que vous ayez tenu votre part du marché. Si vous êtes si impatient de les voir, alors remplissez donc vos engagements. "C'est avec une profonde douleur", répond Calasiris, "que je me souviens de ces événements tragiques. De plus, je craignais de vous ennuyer avec de longs récits. Mais puisque vous souhaitez entendre des choses émouvantes, je vais reprendre l'histoire là où je l'avais laissée. Mais avant tout, allumons une torche, faisons des libations aux dieux de la nuit afin de leur rendre hommage et que rien ne perturbe notre conversation." Il ordonne alors à une esclave d'apporter une torche, fait des libations, invoque les dieux et notamment Mercure. Il leur demande de ne lui envoyer que des rêves plaisants, et de lui révéler en songe ce qui lui tient le plus à cœur. Il continue ainsi son récit. "Lorsque le cortège a fait trois fois le tour du tombeau et que les cavaliers l'ont parcouru autant de fois, les pleurs des femmes se mêlent aux cris indistincts des hommes. Toutes les victimes, taureaux, béliers, agneaux, comme s'ils avaient été frappés du même coup, tombent sous le couteau sacré. Un grand autel est chargé de bois, sur lequel on place, selon la tradition, les extrémités des victimes. Le grand prêtre est prié de commencer les libations et d'embraser le bûcher. "Je dois certes faire les libations", dit Chariclès, "mais le leader de la procession doit se saisir d'un flambeau donné par la prêtresse de Diane pour allumer le bûcher. C'est ce que stipulent nos lois." En même temps, il commence les libations, et Théagènes s'approche pour prendre le flambeau.