que nous savons sur sa personne. Les écrivains ne nous apprennent rien de sa vie. A-t-il vécu dans l'opulence ou la médiocrité ? A-t-il bénéficié de l'estime de ses concitoyens pendant sa vie ? A-t-il été victime de l'envie et la calomnie ? C'est ce que nous ignorons entièrement. Pour comprendre son caractère et son génie, je pense qu'il nous faut nous référer à son œuvre. Son "Histoire Éthiopienne" peut-elle être considérée comme un poème écrit en prose, ou simplement comme un roman ? Pour ceux qui estiment qu'un poème épique ne peut être écrit en prose, que la versification et le merveilleux sont indispensables à l'épopée, la question est résolue. Héliodore n'est qu'un romancier et je ne pense pas qu'il puisse être autre chose pour ceux qui pensent le contraire. Qu'est-ce qu'un poème épique après tout ? C'est le récit d'une action grandiose, sublime et prodigieuse. Les acteurs doivent éblouir les hommes par leur dignité, leur puissance et leurs vertus. Même leurs défauts doivent porter l'empreinte de la grandeur et de l'héroïsme. D'où, je pense, l'obligation qu'un poème épique soit écrit en vers. Si c'est la conception la plus sublime de l'esprit humain, il doit également rassembler tout ce que le langage humain a de plus noble et élevé. Il suffit de lire l'histoire d'Héliodore pour voir qu'elle n'a rien de tout cela. Même en supposant qu'un poème épique puisse être écrit en prose, son histoire ne serait même pas comparable à ce genre de poème. Nous classons donc les Ethiopiennes dans la catégorie des romans et c'est donc comme tel que nous allons l'examiner. Héliodore comme romancier n'a peut-être pas moins de mérite qu'Homère comme poète. Comme lui, il a servi de modèle à tous ceux qui ont travaillé après lui dans le même genre. Son œuvre regorge de tous les éléments que les romanciers ont utilisés pour intéresser, toucher et émouvoir le lecteur : rêves, oracles, surprises, reconnaissances, brigands, pirates, magie, talismans merveilleux, enlèvements, prodiges et catastrophes extraordinaires, défis de toutes sortes, malheurs de toutes sortes, bref, tous ces moyens, toutes ces ficelles, si connus et usés de nos jours, mais alors nouveaux, se retrouvent dans les Ethiopiennes. Héliodore a donc un mérite incontestable, tout comme Homère, car comme lui, il n'a été surpassé, à peine égalé par aucun des écrivains qui lui ont succédé. En somme, les romanciers n'ont été appréciés que dans la mesure où ils se sont approchés d'Héliodore. Je ne fais pas référence ici à la nouvelle Héloïse, à Clarisse, à Pamela: ils ne sont pas du même genre. De nombreux aspects des Ethiopiennes me semblent admirables : tout y est bien lié, les épisodes sont introduits sans effort et de manière naturelle, la série des événements se développe avec beaucoup d'art. En un mot, l'œuvre forme un ensemble dont toutes les parties sont bien connectées, bien adaptées les unes aux autres et forment un édifice régulier. Le style est fluide, riche en métaphores, parfois recherché, annonce parfois de la prétention à l'esprit fin; les réflexions sont sages, judicieuses et naturelles; les discours sont éloquents, même s'ils ne contiennent pas.