Puis, dans un endroit où jaillissait une fontaine couronnée de cèdres et de palmiers touffus, il pose son écu, ôte son casque du front, et se désarme les deux mains. Et, tourné tantôt vers la mer, tantôt vers la montagne, il livre son visage aux brises fraî- ches et suaves qui, avec de doux murmures, font trembler les hautes cimes des hêtres et des sapins. Il baigne dans l’onde claire et fraîche ses lèvres dessé- chées ; il l’agite avec les mains, pour apaiser la chaleur qu’a al- lumée dans ses veines le poids de sa cuirasse. Et il ne faut point s’étonner que cette chaleur soit devenue si grande, car il a été loin de se tenir en une même place ; au contraire, sans jamais se reposer et couvert de ses armes, il est allé toujours courant pen- dant trois mille milles. Pendant qu’il se repose en cet endroit, le destrier qu’il avait laissé au plus épais du feuillage sous l’ombre fraîche, se cabre tout à coup, comme s’il voulait fuir, épouvanté qu’il est par je ne sais quoi de caché dans les branches. Et il secoue tellement le myrte auquel il est attaché, qu’il encombre tout autour la terre de ses rameaux. Il secoue le myrte au point d’en faire tomber les feuilles, mais sans réussir à s’en détacher. Comme fait parfois un tronc d’arbre à la moelle rare ou ab- sente, quand il est mis au feu, et que la grande chaleur consume l’air humide qui le remplit et le fait résonner en dedans, jusqu’à ce qu’elle se fraye un chemin au dehors avec un bouillonnement strident, ainsi murmure, crie et se courrouce ce myrte blessé, et enfin ouvre son écorce, D’où, avec une voix triste et plaintive, sortent, distinctes et claires, ces paroles : « Si tu es courtois et accessible à la pitié, comme le montre ta belle physionomie, éloigne cet animal de mon arbre. Il suffit que je sois affligé de mon propre mal, sans qu’une autre peine, sans qu’une autre douleur vienne encore du dehors pour me tourmenter. » – 108 –