la pensée de m’enlever, par astuce et artifice, à mes compa- gnons. Son dessein réussit. » Elle vint à notre rencontre l’air souriant, avec des gestes gracieux et prévenants, et dit : “Chevaliers, qu’il vous plaise de prendre aujourd’hui vos logements chez moi. Je vous ferai voir, dans ma pêche, toutes sortes de poissons différents, les uns re- couverts d’écailles, les autres lisses, et d’autres tout poilus, et tous plus nombreux qu’il n’y a d’étoiles au ciel. » ”Et si nous voulons voir une sirène qui apaise la mer par son doux chant, passons d’ici sur cette autre plage, où, à cette heure, elle a toujours coutume de retourner.” Et elle nous mon- tra cette grande baleine qui, comme je l’ai dit, paraissait être une île. Moi, qui fus toujours trop entreprenant – et je m’en re- pens – j’allai sur ce poisson. » Renaud me faisait signe, ainsi que Dudon, de ne pas y al- ler, mais cela servit peu. La fée Alcine, avec un visage riant, lais- sa les deux autres et s’élança derrière moi. La baleine, à lui obéir diligente, s’en alla, nageant à travers l’onde salée. Je ne tardai pas à me repentir de ma sottise, mais je me trouvais trop éloigné du rivage. » Renaud se jeta à la nage pour m’aider et faillit être en- glouti, car un furieux vent du sud s’éleva, qui couvrit d’une om- bre épaisse le ciel et la mer. J’ignore ce qui lui est ensuite arrivé. Alcine s’efforçait de me rassurer, et pendant tout ce jour et la nuit suivante elle me tint sur ce monstre au milieu de la mer, » Jusqu’à ce que nous arrivâmes à cette belle île, dont Al- cine possède une grande partie. Elle l’a usurpée sur une de ses sœurs, à qui leur père l’avait entièrement laissée en héritage parce qu’elle était sa seule enfant légitime. Les deux autres, à ce que m’a dit depuis quelqu’un qui en était pleinement instruit, sont nées d’un inceste. – 111 –