Je ne crois pas que la Pouille en possède un si monstrueux. Il était plus gros et plus grand qu’un bœuf ; aucun frein ne lui faisait écumer les lèvres, et je ne sais comment elle pouvait le diriger à sa volonté. La maudite peste avait sur ses armes une soubreveste couleur de sable et, hors la couleur, semblable à celle que les évêques et les prélats portent à la cour. Sur son écu et sur son cimier, était un crapaud gonflé de venin. Les dames la montrèrent au chevalier, attendant en deçà du pont et disposée à combattre et à lui barrer le passage, ainsi qu’elle avait coutume de le faire à chacun. Elle crie à Roger de retourner en arrière. Mais celui-ci prend sa lance, et la menace et la défie. Non moins prompte et hardie, la géante éperonne le grand loup, et s’affermit sur l’arçon. Au milieu de sa course, elle met sa lance en arrêt, et fait trembler la terre sur son passage. Mais sur le pré elle est arrêtée net par un choc terrible, car le brave Roger lui plante son fer droit sous le casque, et l’enlève des arçons avec une telle force, qu’il la jette à plus de six brasses en arrière. Déjà il avait tiré l’épée qu’il portait au côté, et s’apprêtait à trancher l’orgueilleuse tête ; et il pouvait bien le faire, car Éry- phile gisait comme morte parmi les fleurs sur l’herbe. Mais les dames crièrent : « Qu’il te suffise qu’elle soit vaincue, sans poursuivre une plus cruelle vengeance. » Le chevalier courtois remet son épée au fourreau. Passons le pont, et poursuivons notre route. Ils suivirent pendant quelque temps un chemin difficile et rude, à travers un bois, et qui, outre qu’il était étroit et rempli de pierres, montait presque en ligne droite au haut de la colline. Mais, dès qu’ils eurent atteint le faîte, ils débouchèrent dans une prairie spacieuse, où ils aperçurent le plus beau et le plus ravis- sant palais qui se soit jamais vu au monde. – 121 –