l’autre, cueillant sur les lèvres la fleur suave de l’âme, que ne sauraient produire les plages odorantes de l’Inde ou du pays de Saba. Eux seuls pourraient dire le grand plaisir qu’ils éprouvent, car ils ont souvent plus d’une langue dans la bouche. Ces choses furent tenues secrètes, ou du moins on n’y fit aucune allusion, car il est rare qu’on blâme quelqu’un de sa dis- crétion ; le plus souvent, au contraire, on l’en loue. Tous les hô- tes du palais, en bons courtisans, prodiguent à Roger les offres de services et les prévenances cordiales. Chacun lui rend hom- mage et s’incline devant lui ; ainsi le veut l’amoureuse Alcine. Il n’est pas de plaisir qu’on néglige ; tous ceux qu’on peut imaginer sont réunis dans l’amoureuse demeure. Deux ou trois fois par jour, on y change de vêtements, selon les divertisse- ments auxquels on se livre et qui consistent le plus souvent en banquets. C’est une fête continuelle, où le temps s’écoule au jeu, au spectacle, au bain ou à la danse. Tantôt, près d’une fontaine, à l’ombre des coteaux, ils lisent les anciens récits d’amour ; Tantôt, par les vallons ombreux et les collines riantes, ils chassent le lièvre timide ; tantôt, suivis de chiens bien dressés, ils font sortir avec un grand crépitement d’ailes les faisans affo- lés des guérets et des buissons. Tantôt ils prennent les grives au lacet, ou bien ils tendent leurs gluaux dans les genévriers odo- rants ; tantôt, avec les hameçons chargés d’amorces, ou les filets aux mailles serrées, ils troublent les poissons dans leurs plus sûres retraites. Tels étaient les plaisirs et les fêtes auxquels se livrait Roger, pendant que Charles restait en butte aux attaques d’Agramant. Je ne dois point, pour de telles choses, oublier l’histoire de Charles, ni laisser de côté Bradamante. Dans sa peine extrême, celle-ci passe ses jours à pleurer l’amant si cher qu’elle a vu, par des routes étranges et inusitées, emporté elle ne sait où. – 126 –