Elle lui donne l’anneau et le lui recommande. Elle lui re- commande encore davantage son Roger, à qui elle envoie par elle mille souhaits ; puis elle prend son chemin vers la Provence. L’enchanteresse s’en va du côté opposé, et, pour accomplir son dessein, elle fait apparaître, le soir venu, un palefroi dont un pied est roux et tout le reste du corps noir. Je crois que c’était un farfadet ou un esprit qu’elle avait, sous cette forme, évoqué de l’enfer. Sans ceinture et les pieds nus, elle s’élança dessus, les cheveux dénoués et en grand dé- sordre, après s’être enlevé l’anneau du doigt, de peur qu’il ne s’opposât à ses propres enchantements. Puis elle voyagea avec une telle rapidité, qu’au matin elle se trouva dans l’île d’Alcine. Là, elle se transforma complètement : sa stature s’accrut de plus d’une palme, les membres grossirent en proportion et at- teignirent la taille qu’elle supposait au nécromant par lequel Roger avait été élevé avec un si grand soin. Elle couvrit son menton d’une longue barbe, et se rida le front et le reste du vi- sage. De figure, de parole et de physionomie elle sut si bien imi- ter Atlante, qu’elle pouvait être tout à fait prise pour l’enchanteur. Puis elle se cacha, et attendit jusqu’à ce qu’un beau jour Alcine eût permis à son amant de s’éloigner. Et ce fut grand hasard, car, soit au repos, soit à la promenade, elle ne pouvait rester une heure sans l’avoir près d’elle. Elle le trouva seul, – ainsi qu’elle le désirait, – goûtant la fraîcheur et le calme du matin, le long d’un beau ruisseau qui descendait d’une colline et se dirigeait vers un lac limpide et paisible. Ses vêtements gracieux et lascifs annonçaient la mol- lesse et l’oisiveté ; la main même d’Alcine les avait entièrement tissés de soie et d’or, avec un art admirable. – 130 –