servir d’un art inconnu de nos jours, qu’elle pouvait paraître belle et toute jeune. Elle se fait jeune et belle par son art qui en a trompé beau- coup comme Roger. Mais l’anneau vient déchirer le voile qui depuis de nombreuses années déjà cachait la vérité. Ce n’est donc pas miracle si, dans l’esprit de Roger, toute pensée d’amour pour Alcine s’éteint, maintenant qu’il la trouve telle que ses artifices ne peuvent plus le tromper. Mais, comme le lui avait conseillé Mélisse, il se garda de changer de manière d’être, jusqu’à ce que, des pieds à la tête, il se fût revêtu de ses armes trop longtemps négligées. Et, pour ne point éveiller les soupçons d’Alcine, il feignit de vouloir essayer ses forces, et de voir s’il avait grossi depuis le jour où il ne les avait plus endossées. Il suspendit ensuite Balisarde à son côté, – c’est ainsi que s’appelait son épée, – et prit également l’écu merveilleux qui non seulement éblouissait les yeux, mais qui frappait l’âme d’un tel anéantissement, qu’elle semblait être exhalée du corps. Il le prit, et se le mit au cou, tout recouvert du voile de soie avec le- quel il l’avait trouvé. Puis il alla à l’écurie, et fit mettre la bride et la selle à un destrier plus noir que la poix. Mélisse l’avait prévenu d’agir ain- si, car elle connaissait ce cheval qui s’appelait Rabican, et elle savait combien il était rapide à la course. C’était le même qui avait été porté en ces lieux par la baleine, avec le malheureux chevalier, à cette heure jouet des vents sur le bord de la mer. Il aurait pu aussi prendre l’hippogriffe qui était attaché à côté de Rabican, mais la magicienne lui avait dit : « N’oublie pas, tu le sais, combien il est indocile. » Et elle lui promit que le jour suivant elle le ferait sortir de ce pays et le lui amènerait – 135 –