satisfaire à sa demande, il ordonna à tous les gens de guerre de la Bretagne et des îles voisines de se trouver sur le rivage à jour fixe. Seigneur, il convient que je fasse comme le virtuose habile qui, sur son instrument flexible, change souvent de corde et va- rie de ton, prenant tantôt le grave, tantôt l’aigu. Pendant que je suis occupé à parler de Renaud, je me suis souvenu de la gentille Angélique que j’ai laissée fuyant loin de lui, et qui venait de ren- contrer un ermite. Je vais poursuivre un instant son histoire. J’ai dit qu’elle avait demandé avec une vive anxiété comment elle pourrait re- joindre le rivage, car elle avait une telle peur de Renaud, qu’elle se croyait en danger de mort si elle ne mettait pas la mer entre elle et lui, et qu’elle ne pensait pas être en sûreté tant qu’elle serait en Europe. Mais l’ermite cherchait à l’amuser, parce qu’il avait du plaisir à rester avec elle. Cette rare beauté lui a allumé le cœur et réchauffé les moel- les engourdies. Mais, quand il voit que cela ne lui réussit pas, et qu’elle ne veut pas rester plus longtemps avec lui, il accable son âne de cent coups pour activer son pas tardif. Le plus souvent au pas, quelquefois au trot, il va sans permettre à sa bête de s’arrêter. Et comme Angélique s’était tellement éloignée que, d’un peu plus, il aurait perdu sa trace, le moine retourne à sa grotte obscure et évoque une troupe de démons. Il en choisit un dans toute la bande, et, tout d’abord, l’informe de ce qu’il aura à faire ; puis il le fait entrer dans le corps du coursier qui emporte loin de lui sa dame et son cœur. Souvent un chien bien dressé et habitué à chasser sur la montagne les renards et les lièvres, voyant la bête aller d’un cô- té, prend par un autre, et semble dédaigner de suivre la trace. – 143 –