Mais à peine le voit-on arrivé au passage, qu’il l’a dans la gueule, lui ouvre le flanc et la dévore. Ainsi l’ermite, par une voie dé- tournée, rejoindra la dame où qu’elle aille. Ce que peut être son dessein, je le comprends fort bien, et je vous le dirai aussi, mais dans un autre moment. Angélique ne soupçonnant en rien ce danger, cheminait, faisant chaque jour une plus ou moins longue étape. Et déjà, le démon est caché dans son cheval. Ainsi, parfois, le feu couve, puis devient un si grave incendie, qu’on ne peut l’éteindre et qu’on y échappe avec peine. Quand la dame fut arrivée près de la grande mer qui baigne les rivages gascons, elle fit marcher son destrier tout près de la vague, là où l’humidité rendait la voie plus ferme. Celui-ci fut soudain entraîné dans les flots par le démon féroce, au point d’être obligé de nager. La timide donzelle ne sait que faire, si ce n’est se tenir ferme sur la selle. Elle a beau tirer la bride, elle ne peut le faire tourner, et de plus en plus il s’avance vers la haute mer. Elle tenait sa robe re- levée pour ne pas la mouiller, et levait les pieds. Sur ses épaules, sa chevelure flottait toute défaite, caressée par la brise lascive. Les grands vents se taisaient, ainsi que la mer, comme pour contempler sans doute tant de beauté. Elle tournait en vain vers la terre ses beaux yeux qui bai- gnaient de pleurs son visage et sa poitrine. Et elle voyait le ri- vage s’enfuir toujours plus loin, décroître peu à peu et disparaî- tre. Le destrier qui nageait sur la droite, après un grand détour, la porta sur un écueil parsemé de roches noires et de grottes effroyables. Et déjà la nuit commençait à obscurcir le ciel. Quand elle se vit seule dans ce lieu désert, dont la seule vue lui faisait peur, à l’heure où Phébus couché dans la mer laissait l’air et la terre dans une obscurité profonde, elle resta immobile, – 144 –