fit à endormir Angélique. La voilà gisant, renversée sur le sable, livrée à tous les désirs du lubrique vieillard. Il l’embrasse et la palpe à plaisir ; et elle dort et ne peut faire résistance. Il lui baise tantôt le sein, tantôt la bouche ; per- sonne ne peut le voir en ce lieu âpre et désert. Mais, dans cette rencontre, son destrier trébuche, et le corps débile ne répond point au désir. Il avait peu de vigueur, ayant trop d’années, et il peut d’autant moins qu’il s’essouffle davantage. Il tente toutes les voies, tous les moyens. Mais son roussin paresseux se refuse à sauter ; en vain il lui secoue le frein, en vain il le tourmente ; il ne peut lui faire tenir la tête haute. Enfin il s’endort près de la dame qu’un nouveau danger menace en- core. La Fortune ne s’arrête pas pour si peu, quand elle a pris un mortel pour jouet. Il faut d’abord que je vous parle d’une chose qui va me dé- tourner un peu de mon droit chemin. Dans la mer du Nord, du côté de l’Occident et par delà l’Islande, s’étend une île nommée Ébude51, dont la population a considérablement diminué, de- puis qu’elle est détruite par une orque sauvage et d’autres monstres marins que Protée y a conduits pour se venger. Les anciennes chroniques, vraies ou fausses, racontent que jadis un roi puissant régna sur cette île. Il eut une fille dont la grâce et la beauté, dès qu’elle se montra sur le rivage, enflam- mèrent Protée jusqu’au milieu des ondes. Celui-ci, un jour qu’il la trouva seule, lui fit violence et la laissa enceinte de lui. Cet événement causa au père beaucoup de douleur et de souci, car il était plus que tout autre impitoyable et sévère. Ni les excuses, ni la pitié ne purent lui faire pardonner, tant son 51 C'est une île du groupe des Hébrides appelée aujourd'hui Mull ; les Latins la nommaient insula Ebudarum. – 147 –