courroux était grand. La grossesse de sa fille ne l’arrêta même pas dans l’accomplissement de son cruel dessein, et, dès qu’il fut né, il fit, avant elle, mourir son petit-fils, qui cependant n’avait point péché. Le dieu marin Protée, pasteur des monstrueux troupeaux de Neptune roi des ondes, ressentit un grand chagrin de la mort de sa dame, et, dans sa grande colère, il rompit l’ordre et les lois de la nature. Il s’empressa d’envoyer sur l’île les orques et les phoques, et tout son troupeau marin, qui détruisirent non seu- lement les brebis et les bœufs, mais les villes et les bourgs avec leurs habitants. Ils vinrent également assiéger la capitale qui était fortifiée ; les habitants furent obligés de se tenir nuit et jour sous les ar- mes et dans des alarmes perpétuelles. Tous avaient abandonné les campagnes. Enfin, pour trouver remède à leurs maux, ils allèrent consulter l’oracle. Celui-ci répondit : Qu’il leur fallait trouver une jeune fille qui n’eût pas sa pa- reille en beauté, et qu’ils devaient l’offrir sur le rivage à Protée, en échange de celle qu’on avait fait mourir. Si elle lui semblait suffisamment belle, il s’en contenterait et ne reviendrait plus les troubler ; mais, s’il ne s’en contentait pas, il faudrait lui en pré- senter tour à tour une nouvelle, jusqu’à ce qu’il fût satisfait. C’est ainsi que commença une dure condition pour celles qui étaient les plus jolies, car chaque jour une d’elles était of- ferte à Protée, jusqu’à ce qu’il en eût trouvé une qui lui plût. La première et toutes les autres reçurent la mort, dévorées par une orque qui resta à demeure fixe sur le rivage, après que tout le reste du farouche troupeau se fut retiré. Que l’histoire de Protée fût vraie ou fausse, je ne sais qui pourrait me l’affirmer ; toujours est-il que cette ancienne loi, si barbare envers les femmes, se perpétua sur cette île dans toute – 148 –