t’ai laissé remettre aux mains de Naymes, et que je n’ai pas su m’opposer à une telle injure ! » Combien de raisons n’aurais-je pas eues pour excuser ma hardiesse ! Charles ne m’en aurait peut-être pas blâmé, ou, s’il m’avait blâmé, qui aurait pu me contraindre ? Quel est celui qui aurait voulu t’enlever à moi malgré moi ? Ne pouvais-je pas plu- tôt recourir aux armes, me laisser plutôt arracher le cœur de la poitrine ? Mais ni Charles, ni toute son armée n’auraient pas été assez puissants pour t’enlever à moi de force. » Si du moins, je l’avais placée sons bonne garde, à Paris ou dans quelque château fort ! Qu’on l’ait donnée à Naymes, voilà ce qui me désole, car c’est ainsi que je l’ai perdue. Qui mieux que moi l’aurait gardée ? Personne ; car je devais me faire tuer pour elle, et la défendre plus que mon cœur, plus que mes yeux. Je devais et je pouvais le faire, et pourtant je ne l’ai pas fait. » Où es-tu restée sans moi, ô ma douce vie, si jeune et si belle ! Telle, quand la lumière du jour a disparu, la brebis égarée reste dans les bois, et, dans l’espoir d’être entendue du berger, s’en va bêlant de côté et d’autre, jusqu’à ce que le loup l’ait en- tendue de loin ; alors, le malheureux berger pleure en vain sa perte. » Ô mon espoir, où es-tu, où es-tu maintenant ? Peut-être vas-tu encore errante et seule. Peut-être les loups mauvais t’ont- ils trouvée, alors que tu n’avais plus ton fidèle Roland pour te garder. Et cette fleur qui pouvait me faire l’égal des dieux dans le ciel, la fleur que je conservais intacte de peur de troubler ton âme chaste, hélas ! ils l’auront cueillie de force et profanée ! » Infortuné, malheureux ! Quelle autre chose ai-je à désirer que de mourir, s’ils ont cueilli ma belle fleur ! Souverain Dieu, fais-moi souffrir tous les maux avant celui-là. Mais, si ce dernier malheur arrive, de mes propres mains je m’ôte la vie et je – 152 –