une autre voix lui crier : « N’espère plus en jouir sur la terre ! » À cet horrible cri, il se réveille et se trouve tout baigné de pleurs. Sans réfléchir que les images vues en songe sont fausses, et que c’est la crainte ou le désir qui produisent les rêves, il est dans une telle inquiétude au sujet de la donzelle, qu’il se per- suade que sa vie ou son honneur sont en danger. Plein de fu- reur, il s’élance hors de son lit, endosse plastron et cotte de mailles, et selle Bride d’or. Il ne veut accepter le service d’aucun écuyer. Et, pour lui permettre de pénétrer partout sans que sa di- gnité en soit compromise, il ne veut point prendre le célèbre bouclier aux armes écartelées d’argent et de gueules. Il en choi- sit un orné de noir, sans doute parce qu’il semble en rapport avec sa douleur. Il l’avait autrefois enlevé à un Amostan 52 qu’il occit de sa main, quelques années auparavant. Au milieu de la nuit, il part en silence, sans aller saluer ni prévenir son oncle. Il ne dit pas même adieu à son fidèle com- pagnon Brandimart qu’il aimait tant. Mais, dès que le soleil, avec ses cheveux d’or épars, fut sorti de la riche demeure de Ti- thon, et eut fait s’enfuir la nuit humide et noire, le roi s’aperçut que le paladin n’était plus au camp. À son grand déplaisir, Charles s’aperçut que son neveu était parti pendant la nuit, alors qu’il avait le plus besoin de lui et de son aide. Il ne put retenir sa colère. Il se répandit en plain- tes, en reproches et en menaces à son égard, disant que, s’il ne revenait pas, il le ferait repentir d’une conduite si coupable. Brandimart, qui aimait Roland comme soi-même, ne vou- lut pas rester après son départ, soit qu’il espérât le faire revenir, 52 Le mot amostan est d'origine arabe ; c'est la désignation d'une dignité chez les musulmans. – 154 –