Par une voie, ou par une autre, Cimosque se met bien vite hors de vue du paladin. Mais il ne tarde pas à revenir avec des armes nouvelles. Il s’est fait apporter le tube de fer creux et le feu, et tapi dans un coin, il attend son ennemi comme le chas- seur à l’affût, avec son épieu et ses chiens, attend le sanglier fé- roce qui descend détruisant tout sur son passage, Brisant les branches et faisant rouler les rochers. Partout où se heurte son front terrible, il semble que l’orgueilleuse forêt croule sous la rumeur, et que la montagne s’entr’ouvre. Cimos- que se tint à son poste, afin que l’audacieux comte ne passe pas sans lui payer tribut. Aussitôt qu’il l’aperçoit, il touche avec le feu le soupirail du tube, et soudain celui-ci éclate. En arrière, il étincelle comme l’éclair ; par devant, il gronde et lance le tonnerre dans les airs. Les murs tremblent, le terrain frémit sous les pieds. Le ciel retentit de l’effroyable son. Le trait ardent, qui abat et tue tout ce qu’il rencontre et n’épargne per- sonne, siffle et grince. Mais, comme l’aurait voulu ce misérable assassin, il ne va pas frapper le but. Soit précipitation, soit que son trop vif désir de tuer le ba- ron lui ait fait mal viser ; soit que son cœur tremblant comme la feuille ait fait trembler aussi son bras et sa main ; soit enfin que la bonté divine n’ait pas voulu que son fidèle champion fût si tôt abattu, le coup vint frapper le ventre du destrier et l’étendit par terre, d’où il ne se releva plus jamais. Le cheval et le cavalier tombent à terre, le premier lourde- ment, le second en la touchant à peine, car il se relève si adroi- tement et si légèrement, que sa force et son haleine en semblent accrues. Comme Antée, le Libyen, qui se relevait plus vigoureux après avoir touché le sol, tel se relève Roland, et sa force paraît avoir doublé en touchant la terre. – 171 –