La dame le menace toujours, le maudit et l’apostrophe, car elle a rejeté toute honte. Cependant Roger est arrivé au détroit par où l’on passe chez la fée plus sage. Là, il voit un vieux no- cher détacher sa barque de l’autre rive aussitôt qu’il en a été aperçu, et se tenir prêt, comme s’il attendait son arrivée. Le nocher s’approche, dès qu’il le voit venir, pour le trans- porter sain et sauf sur une meilleure rive. Si le visage peut don- ner une juste idée de l’âme, il devait être bienfaisant et plein de discrétion. Roger mit le pied sur la barque, rendant grâces à Dieu, et sur la mer tranquille il s’en allait, s’entretenant avec le nocher sage et doué d’une longue expérience. Ce dernier loua Roger d’avoir su se délivrer à temps d’Alcine et avant qu’elle lui eût fait boire le breuvage enchanté qu’elle avait donné à tous ses autres amants. Il le félicita ensuite d’être conduit vers Logistilla, chez laquelle il pourrait voir des mœurs saines, une beauté éternelle, une grâce infinie, qui nour- rit le cœur sans jamais le rassasier. « Celle-ci – disait-il – remplit l’âme d’étonnement et de respect dès la première fois qu’on la voit. Quand on la connaît davantage, tout autre bien paraît peu digne d’estime. L’amour qu’elle inspire diffère des autres amours, en cela que ceux-ci vous rongent tour à tour d’espoir et de crainte, tandis que le sien vous rend heureux du seul désir de la voir. » Elle t’enseignera d’autres occupations plus agréables que la musique, les danses, les parfums, les bains ou la table. Elle t’apprendra à élever tes pensées épurées plus haut que le milan ne monte dans les airs, et comment, dans un corps mortel, on peut goûter en partie la gloire des bienheureux. » Ainsi parlant, le marinier s’avançait du côté de la rive sûre, qui était encore éloignée, – 185 –