Sous le château, dans une baie tranquille, était une flotte prête jour et nuit à livrer bataille au moindre signal, au premier ordre. Aussitôt le combat âpre et atroce s’engage sur mer et sur terre, et du coup fut reconquis ce qu’Alcine avait jadis enlevé à sa sœur. Oh ! combien l’issue de la bataille fut différente de celle qu’elle avait d’abord espérée ! Non seulement Alcine ne parvint pas à s’emparer, comme elle le pensait, de son fugitif amant, mais de tous ses navires, naguère si nombreux qu’à peine la mer pouvait les contenir, elle peut à grand’peine sauver de la flamme qui a détruit le reste, une petite barque sur laquelle elle s’enfuit, misérable et seule. Alcine s’enfuit, et sa malheureuse armée reste prisonnière ; et sa flotte, brûlée, mise en pièces, est dispersée. Elle ressent toutefois plus de douleur de la perte de Roger que de toute autre chose. Nuit et jour elle gémit amèrement sur lui, et ses yeux ver- sent des pleurs à son souvenir. Pour terminer son âpre martyre, elle se plaint de ne pouvoir mourir. Aucune fée ne peut en effet mourir, tant que le soleil tour- nera ou que le ciel n’aura pas changé de système. Sans cela la douleur d’Alcine aurait été capable d’émouvoir Clotho, et de lui faire consentir à couper le fil de sa vie. Comme Didon, elle au- rait mis fin à ses malheurs par le fer, ou, imitant la splendide reine du Nil 57, elle se serait plongée dans un sommeil de mort. Mais les fées ne peuvent jamais mourir. Retournons à ce Roger, digne d’une éternelle gloire, et lais- sons Alcine à sa peine. Je dis que, dès qu’il eut mis le pied hors de la barque, et qu’il eut été conduit sur une plage plus sûre, il rendit grâces à Dieu de tout ce qui lui était arrivé. Puis, tournant 57 Cléopâtre, qui se fit piquer par un aspic pour ne pas être traînée derrière le char du triomphateur romain. – 187 –