l’oreille et si vos hautes pensées s’abaissent un peu, de façon que jusqu’à elles mes vers puissent arriver. Roland, qui longtemps fut énamouré de la belle Angélique et pour elle avait dans l’Inde, en Médie, en Tartarie, laissé d’infinis et d’immortels trophées 20, était revenu avec elle dans le Ponant, où, sous les grands monts Pyrénéens, avec les gens de France et d’Allemagne, le roi Charles tenait campagne. Pour faire repentir encore le roi Marsille et le roi Agra- mant21 de la folle hardiesse qu’ils avaient eue, l’un de conduire d’Afrique autant de gens qui étaient en état de porter l’épée et la lance, l’autre d’avoir soulevé l’Espagne, dans l’intention de dé- truire le beau royaume de France. Ainsi Roland arriva fort à point ; mais il se repentit vite d’y être venu ; Car peu après sa dame lui fut ravie. – Voilà comme le ju- gement humain se trompe si souvent ! – Celle que, des rivages d’Occident à ceux d’Orient, il avait défendue dans une si longue guerre, maintenant lui est enlevée au milieu de tous ses amis, sans qu’il puisse tirer l’épée, dans son propre pays. Le sage em- pereur, qui voulut éteindre un grave incendie, fut celui qui la lui enleva. 20 Voir, au sujet des amours de Roland pour Angélique, et de ses exploits en Asie, le poème de Boïardo. Angélique et son frère Argail, tous deux enfants de Galafron, roi du Cathay (province du nord de la Chine), avaient été envoyés par leur père en France, afin de s’emparer par force ou par ruse des paladins de Charles, et de les lui amener prisonniers. Angélique avait pour arme son éclatante beauté. Son frère possédait une lance d’or qui était fée et qui renversait quiconque en était touché ; le cheval Rabican, plus rapide que le vent et qui se nourrissait d’air ; enfin un anneau qui rendait invisible dès qu’on le mettait dans la bouche et qui, porté au doigt, rompait tous les enchantements. Toutes ces choses sont longuement racontées par Boïardo. 21 Marsile était roi d’Espagne et Agramant roi d’Afrique. Ce sont deux personnages fictifs. – 19 –