Après que Roger eut été bien instruit sur toutes ces choses, il prit congé de la fée gentille, à laquelle il resta depuis attaché par une grande affection, et il sortit de ce pays. Je parlerai tout d’abord de lui qui fit un heureux voyage, et puis je dirai com- ment le guerrier anglais, après de bien plus longues et bien plus grandes fatigues, rejoignit le grand Charles et sa cour amie. Roger parti, il ne s’en revint pas par la même route qu’il avait déjà faite contre son gré, alors que l’hippogriffe l’entraînait au-dessus de la mer et loin de la vue des terres. Mais mainte- nant qu’il pouvait lui faire battre les ailes deçà, delà, où il lui convenait, il résolut d’effectuer son retour par un nouveau che- min, comme firent les Mages fuyant Hérode. En quittant l’Espagne pour arriver en ces contrées, il était venu en droite ligne aborder dans l’Inde du côté où la mer orientale la baigne, aux lieux témoins de la querelle soulevée entre l’une et l’autre fée. Maintenant il se dispose à parcourir une autre région que celle où Éole souffle ses vents, et à ne met- tre fin à son voyage qu’après avoir, comme le soleil, fait le tour du monde. Il voit, en passant au-dessus d’eux, ici le Cathay, là la Man- giane et le grand Quinsi 58. Il vole au-dessus de l’Imaus, et laisse la Séricane à main droite. Puis, descendant toujours des pays hyperboréens de la Scythie aux rivages hyrcaniens, il arrive aux confins de la Sarmatie, et lorsqu’il fut parvenu là où l’Asie se sépare de l’Europe, il vit les Russes, les Prussiens et la Poméra- nie. Bien que tout le désir de Roger fût de retourner prompte- ment vers Bradamante, il avait tellement pris plaisir à courir ainsi à travers le monde, qu’il ne s’arrêta pas avant d’avoir vu les 58 Ville de la Chine appelée Chansay par Marco Polo. C'est la mo- derne Nanking. – 190 –