que l’homme s’y purge de toutes ses fautes. De là, son destrier l’amena ensuite sur la mer qui lave les côtes de la basse Breta- gne. C’est alors qu’en passant, il vit au dessous de lui Angélique liée sur un rocher nu, Sur le rocher nu de l’île des Pleurs, car île des Pleurs était nommée la contrée habitée par cette population cruelle, féroce et inhumaine qui, comme je vous l’ai dit dans un chant précé- dent, parcourait en armes les rivages voisins, enlevant toutes les belles dames, pour les donner en pâture à un monstre. Elle y avait été liée le matin même, et attendait, pour en être dévorée toute vive, la venue de ce monstre énorme, l’orque marine qui se nourrissait d’une abominable nourriture. J’ai dit plus haut comment elle fut enlevée par ceux qui la trouvèrent endormie sur le rivage, près du vieil enchanteur qui l’avait atti- rée là par enchantement. Ces gens féroces, impitoyables, avaient exposé sur le ri- vage, à la merci de la bête cruelle, la belle dame aussi nue que la nature l’avait formée. Elle n’avait pas même un voile pour re- couvrir les lis blancs et les roses vermeilles répandus sur ses beaux membres, et que la chaleur de juillet ou le froid de dé- cembre n’aurait pu faire tomber. Roger l’aurait prise pour une statue d’albâtre ou de tout au- tre marbre précieux, sculptée sur l’écueil par des statuaires ha- biles, s’il n’avait vu les larmes, répandues à travers les fraîches roses et les lis blancs, mouiller ses joues, et l’air soulever sa che- velure d’or. Dès qu’il eut fixé ces beaux yeux, il se souvint de sa Brada- mante. La pitié et l’amour l’émurent en même temps, et il eut peine à se retenir de pleurer. Après avoir modéré le mouvement d’ailes de son destrier, il dit doucement à la donzelle : « Ô dame, – 195 –